Horror futuri

Emmanuelle PIROTTE, De profundis, Cherche midi, 2016, 286 p., 17 €/ ePub : 13.99 €

pirotte de profundisUn an à peine après son remarqué Today we live, Emmanuelle Pirotte fait à nouveau la rentrée littéraire. De profundis, son deuxième roman, est publié lui aussi au Cherche Midi.

Belgique, XXIe siècle. Le pays, comme le reste du monde, est ravagé par Ebola. Chacun dispose d’ordinateurs perfectionnés, capables de générer des hologrammes, mais le chaos et la misère règnent. À Bruxelles, Roxanne vit de la contrebande de médicaments et risque sa vie à chaque instant. Jusqu’au jour où son ex-mari, atteint du virus, lui confie la garde de leur fille Stella, étrange enfant taciturne. Roxanne, qui l’avait abandonnée sans état d’âme plusieurs années plus tôt, décide pourtant d’emmener sa fille loin de la jungle urbaine pour la protéger. Elles se réfugient dans le petit village de Saint-Fontaine, où elles emménagent dans la maison de leurs aïeux. La bourgade est épargnée par la maladie, mais les conditions de vie sont rudes, Roxanne et Stella risquant régulièrement le viol ou la mort, alors que la maison est habitée par une mystérieuse présence.

En deux romans, Emmanuelle Pirotte esquisse déjà les contours d’une œuvre cohérente, où affleurent quelques thématiques qui structurent visiblement l’imaginaire de la romancière. On note ainsi une prédilection pour les contextes cataclysmiques (guerre, épidémie…) et les histoires concrètement ancrées en Belgique (et en particulier dans de petits villages du Sud, prétextes à glisser quelques mots de wallon dans les dialogues), une fascination pour les figures d’enfants perspicaces, matures, un peu inquiétants pour les adultes – la Stella de De profundis est en cela la petite sœur de la Renée de Today we live – et le duo fragile et délicat qu’ils forment avec un adulte en proie au doute sur son identité.

À n’en point douter, De profundis surprendra pourtant les lecteurs de Today we live. Avec ce deuxième roman, Pirotte s’aventure en effet sur les sentiers de la littérature de genre, puisque c’est un récit d’anticipation qu’elle nous propose ici. Bien qu’elle situe l’histoire dans le futur (proche), elle se refuse à la surenchère technologique : tout au plus les protagonistes disposent-ils de tablettes et d’ordinateurs plus performants que les nôtres. Le décor futuriste ne sert pas davantage de prétexte à une admonestation sur les dérives de la société actuelle. C’est que l’univers – désolé, implacable, anarchique – imaginé par Pirotte tient plus du cadre où se déploie la difficile relation entre Roxanne et sa fille que du sujet central du roman.

Dès que les protagonistes parviennent à Saint-Fontaine, Pirotte mêle en outre une intrigue fantastique à la trame d’anticipation, la maison héritée de la famille de Roxanne se révélant hantée. On craint un instant que le récit s’égare par excès d’ambition, mais la romancière tisse ces deux fils avec une heureuse habileté et une écriture fluide, qui est aussi l’une des belles surprises de ce livre. Emmanuelle Pirotte est une scénariste de cinéma venue ensuite au roman, ce qui se ressentait dans Today we live : l’écriture, certes efficace, y semblait surtout taillée pour la transposition à l’écran. De profundis porte au contraire la griffe d’une authentique romancière. Qu’on espère retrouver souvent et en d’aussi bonnes pages.