Les mots de la tribu tholoméenne

Vincent THOLOMÉ, Kirkjubaejarklaustur suivi de The John Cage Experiences, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2016, 321 p., 10 €    ISBN : 9782875680792

tholomeEspace Nord réunit pour la première fois deux textes majeurs du poète et performeur Vincent Tholomé, à savoir Kirkjubaejarklaustur suivi de The John Cage Experiences. Ce livre est également doté d’une postface indispensable de Jan Baetens, spécialiste de cet auteur et théoricien de la poésie orale actuelle et de ses rapports à l’écrit. Au fur et à mesure du récit, on découvre que les personnages s’appellent tous Sven, Harald, ou Thora. Que l’histoire est une succession de mini-récits, à la fois loufoques et décalés. De sorte qu’il s’agit plus d’une fable moderne sous forme de road-trip avec comme climax une fin de monde en soi : « Hé. Mais, les Sven. C’est par là. Nos corps. Pas par là. Fait lui. Harald. Tête en compote. Tandis que. Eux. Sven et Sven. Si dissolvent eux dans le brouillard. Perdus déjà. Au-delà de crêtes. Dans le monde blanc partant en couille ».

Le second texte, The John Cage Experiences, est le modèle d’un récit à contrainte, exploitant le hasard comme dans l’œuvre du compositeur éponyme. Texte-hommage, biographie libre, déclaration d’amour singulière, s’en suivent huit textes composés, telle une partition, selon la technique du tirage au sort, tant pour le nombre de phrases, que pour ce dont elles parleront ainsi que le nombre de chapitres structurant l’ensemble. Alliage subtil entre des règles choisies et une liberté de ton et de paroles, l’assemblage permet, à ceux qui ne connaissent pas encore V. Tholomé, de découvrir la voix unique d’un auteur qui ose écrire à vive allure, s’amusant avec les formes, les structures de phrases, la syntaxe, la narration. Il coupe et découpe dans le langage, fabrique un collage verbal inédit.

Le lecteur, grâce à la réunion de ces deux textes, est pris dans un shaker cérébral où se concocte une explosion de sens, de formes, de rythmes. Chaque changement, chaque mouvement, chaque transformation phrastique dans l’œuvre du poète exprime une volonté de recréer à sa manière un langage à l’image du monde moderne. Poésie, prose, ces catégories n’ont plus d’importance car on assiste à la naissance d’une nouvelle langue, étrange voire étrangère, parfois quelque peu difficile à lire même si elle est faite à partir de mots simples et proches de nous.

Pour apprécier pleinement V. Tholomé, il faut le voir sur scène, en scène, seul ou accompagné. Il est sérieux quand il lit. C’est du travail tout ça. Sa voix projette les textes, les mots, l’histoire et bien au-delà. En le voyant, en l’écoutant, on ne le lit plus jamais tout à fait de la même manière. À l’heure du podcast, je vous invite à  télécharger la fiction radiophonique inspirée par le livre et réalisée par Sébastien Dicenaire en compagnie de Maya Jantar. Un régal pour les oreilles. Il collabore d’ailleurs volontiers avec d’autres artistes : plasticiens, musiciens, artistes sonores, cinéastes etc. donnant à son univers la possibilité de se fragmenter, tout en restant partie d’un ensemble créatif et poétique plus large. Il y aurait beaucoup à dire et à écrire sur V. Tholomé, dont son habileté à mêler second degré, humour et fantaisie, avec une vraie réflexion politique sur le monde d’aujourd’hui, par les mots, la poésie et sa voix qui les anime. Et rien que cela fait de lui un poète belge incontournable du 21ème siècle.

Mélanie GODIN

 

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