Vengeance ou pardon ?

Monique BERNIER, La magie du frangipanier, Académia, coll. « Livres Libres », 2016, 166 p., 16,50€/ePub : 11.99 €   ISBN : 978-2-8061-0302-4

bernierLe ciel de Clémence s’est obscurci lorsqu’elle avait treize ans. Alors qu’elle empruntait le métro pour rentrer chez elle, deux jeunes hommes l’ont sauvagement agressée et violée. Après cet acte lâche et barbare ont suivi des années difficiles, un long chemin de reconstruction physique et surtout mentale. Aujourd’hui, âgé de vingt ans, la jeune femme semble avoir repris goût à la vie. Elle fréquente les bancs de l’Université Libre de Bruxelles. Elle s’y rend en métro chaque matin, non sans craintes, mais avec la niaque d’une survivante. De petits rituels l’aident quand l’angoisse l’envahit. Elle s’imagine au pied d’un frangipanier, ce bel arbre qui peuple le pays de son père, malheureusement décédé peu auparavant d’un cancer. Clémence aimerait retourner au Rwanda, même si elle sait qu’elle y sera toujours considérée comme une blanche, elle qui a la peau dorée des métisses. Elle se prend d’amitié pour ce pays qui a lui aussi connu des heures très sombres.

Parallèlement, nous suivons le parcours de Georges Henry de Barre et Richard Spinoy, ses bourreaux, deux fils de bonne famille. Georges Henry, un homme d’affaires sûr de lui, marié à une femme froide – lui qui pourtant aime le sexe par-dessus tout – se voit obligé de prendre le métro un matin. Il doit rendre visite à Richard en prison qui purge sa peine alors que Charles Henry peut profiter de la liberté. Richard a mené la danse dans cette sombre histoire de viol, mais Georges Henry l’y a suivi. Aidé par son père et l’argent de ce dernier, Georges Henry a été acquitté faute de preuves. On l’a même reconnu comme une sorte de sauveur auprès de la jeune fille. Il lui aurait épargné la mort. Richard paie les conséquences de leur acte et doit rester treize ans en prison. Ils se taisent et se couvrent l’un l’autre. Ils calment leurs ardeurs avec des petites pilules, mais restent tous les deux agités par une haine absolue, tant envers leurs proches qu’envers Clémence, cette « négresse » qui les a allumés. À aucun moment, les deux hommes ne se remettent en question.

Tous ces personnages s’échappent dans leurs souvenirs, parfois chaleureux, parfois douloureux ou difficiles à affronter. Les mots du père viennent également ponctuer la lecture du roman. À travers un journal intime qu’il a livré à sa fille et où il jette pêle-mêle ses pensées, Lucien Mukagasi évoque ses derniers instants de vie, depuis l’annonce de sa mort prochaine, terminus inéluctable de son cancer, à la difficulté de la révéler à ses proches. L’homme a peur d’abandonner sa fille, en proie à ses vieux démons. Lui aussi a de vieux démons. Envoyé en Belgique pour faire ses études, il a survécu au génocide rwandais, contrairement au reste de sa famille qui a été décimée. Sorte de roman dans le roman, on voyage dans cette autre sombre page de l’humanité.

Georges Henry et Clémence se retrouvent dans le même métro. L’homme voit la jeune fille. Comment va-t-il réagir ? Va-t-il lui demander pardon ? Va-t-elle le voir ? Parviendra-t-elle à l’affronter ? Restera-t-il impuni jusqu’à la fin de ses jours ?

Ce premier roman de Monique Bernier est assez réussi. Nous suivons le destin croisé de trois personnages liés par un terrible acte. L’auteure maitrise bien son sujet et son style : aucun épanchement exagéré ou gratuit, les mots peuvent être crus sans être obscènes, la violence des faits n’est jamais tue et de beaux passages sensibles jalonnent le récit. Monique Bernier a connu de près le génocide des Tutsi auquel elle a consacré deux ouvrages. Elle nous tient en haleine tout au long du texte. Soulignons également la magnifique accélération qui opère à la fin du roman. Le poids des mots, le rythme des phrases, tout est consciencieusement travaillé.

Émilie Gäbele