Quand Guevara philosophait

Jean-Pol HECQTea time à New Delhi, Luce Wilquin, 2017, 233 p., 20€, ISBN : 978-2882535344

hecq tea timeÀ l’été 2015, nous vous présentions ici même le premier roman de Jean-Pol Hecq, Georges et les dragons, qui paraissait aux éditions Luce Wilquin. Coup de cœur du Carnet et les instants, il se distinguait par son intrigue mêlant sans cesse mythes et faits réels pour proposer au lecteur un roman étonnant et réussi. La question était alors posée : l’imagination très fertile de l’auteur aurait-elle les ressources nécessaires pour nous proposer d’autres œuvres de cette facture ? Moins de deux ans plus tard, Luce Wilquin publie le deuxième roman de Jean-Pol Hecq : Tea time à New Delhi.

Loin des lignes de combat montoises de la Première Guerre mondiale, c’est dans l’Asie des années 1950 que nous emmène Hecq. Le moment est d’importance : Ernesto Guevara, El Che, est en visite officielle. Après avoir rejoint les troupes de Fidel Castro et mené une guérilla longue de deux années sur l’île cubaine, lui et ses hommes ont renversé la dictature de Batista. La révolution du peuple a fait son œuvre mais le plus dur reste à venir : le pays a faim, les gens sont pauvres et les ressources naturelles sont bien maigres. L’heure est aux réformes et aux stratégies internationales. Guevara est en Inde pour y trouver un allié susceptible de lui vendre des armes et d’acheter le sucre que les campagnes cubaines produisent en masse.

Au cours de son voyage pourtant, le commandant va rencontrer autre chose que des ministres. Il y a bien sûr les visites d’industries, qui pourront l’aider dans ses réformes lorsqu’il sera de retour au pays. Mais il y a surtout Indira. La fille du premier ministre a beaucoup voyagé. La chose politique l’intéresse beaucoup et elle a suivi de près les éclats militaires de l’intriguant Che. Et puis, il y a la littérature, passion qu’elle partage avec ce militaire mal dégrossi. À 31 ans tout juste, Guevara semble avoir tout vu, tout vécu et il fait preuve d’une culture générale impressionnante. Il a toujours soif de savoirs, veut comprendre, cherche des pistes pour que sa révolution fasse de Cuba un État libre et fort. Alors, en secret, Indira Gandhi lui donne des rendez-vous. Ils discutent, s’interrogent, mettent leurs convictions à l’épreuve des arguments de l’autre.

La période est troublée. Le monde est plongé en pleine Guerre Froide, divisé en deux par des puissances qui entendent chacune dominer l’autre : les USA et l’URSS. La question est sur toutes les lèvres : la révolution cubaine est-elle une révolution communiste ? Y répondre serait synonyme de ralliement à l’une de ces grandes puissances. Impossible. Cuba restera indépendant. Les services secrets anglais, américains, russes et indiens sont sur les dents et épient les moindres faits et gestes de ce jeune homme à l’éternel béret.

À travers les visites officielles et touristiques de la délégation cubaine, Jean-Pol Hecq nous fait découvrir un New Dehli tantôt grouillant tantôt mystique. Entre discussions philosophiques et tentatives d’assassinats, le lecteur est invité à suivre le cheminement d’un homme, un guérillero idéaliste, qui semble porté par le désir de sauver un peuple de l’oppression, qu’elle soit dictatoriale ou impérialiste, guidé dans ses réflexions par une jeune femme qui tiendra elle aussi un jour un rôle politique majeur dans son pays. Fantasme ou réalité ? Nous laisserons le soin aux historiens de répondre à cette épineuse question. Avec ses personnages complexes et ambitieux, Hecq nous offre en tout cas un roman auquel on a envie de croire. Et le lecteur se fidélise à sa plume.

Audrey Chèvrefeuille