Réginald GAILLARD, La partition intérieure, Rocher, 2017, 264 p., 18.50 €/ePub : 12.99 €, ISBN : 978-2268092072
Curieux objet littéraire que ce roman de Réginald Gaillard, fondateur des éditions de Corlevour et de la revue NUNC, et auteur, entre autres, des recueils Autour de la tour perdue et L’échelle invisible aux éditions Ad Solem en 2013 et 2015. Il nous revient avec La partition intérieure, publié aux éditions du Rocher et paru ce 4 octobre.
Un curé de campagne – on ne peut pas ne pas penser à l’éponyme de Georges Bernanos – revient sur les quarante années de sacerdoce qu’il vient de passer à Courlaoux, dans l’arrière-pays jurassien. Lui qui avait débuté à Saint-Etienne-du-Mont à Paris où Maurice Duruflé, qui y avait été nommé organiste en 1930, accompagne les célébrations aux grandes orgues, le voilà dans un milieu dur et fermé, peu enclin aux manifestations de sentiments et aux marques de sympathie. Personne n’est venu l’accueillir à son arrivée… mais il trouve quand même une missive de trois mots : « Soyez le bienvenu ».
C’est pourtant là que, bon gré mal gré, il va faire son nid et rencontrer deux perles rares, deux personnages atypiques : Charlotte, une femme du village, un peu simplette, qui s’occupe convulsivement des tombes et arpente la commune en marmonnant, et Jan, un musicien hollandais venu s’installer là pour écrire la musique nouvelle qui va révolutionner le monde de la composition.
Ces trois personnages vont nouer des liens, explorer chacun leur trajectoire, de foi pour Charlotte et le prêtre, de progressive impuissance créatrice pour Jan.
La partition intérieure alterne les scènes – dramatiques ou non – très visuelles et les pages de méditation et de profonde intériorité suivant un découpage du livre en séquences alternativement référées aux différents personnages et tirées du domaine religieux : Le temps du samedi saint – À l’ombre de la croix – Dies Irae…
L’écriture est très belle, nourrissant un texte dense, profond, qui oblige le lecteur (ou l’invite en tout cas) à une lecture lente et intérieure. C’est un livre qui ne se livre pas d’emblée, un peu à l’image du village de Courlaoux et de ses habitants, mais attend qu’on le reprenne, qu’on tire l’un après l’autre les fils de sa trame, dont l’un des principaux est certainement celui de la musique, entre Maurice Duruflé (déjà évoqué), Arvo Pärt, Pierre Boulez,… et la Blanche, qui « chanta le psaume – un peu faux, mais avec un coffre de baryton –, entraînant la communauté dans une belle cacophonie. Les écoutant, je pensais à la paroisse jésuite du Centre Sèvres et à sa chorale à quatre voix… » (c’est sa première messe à Courlaoux, le pauvre).
L’intériorité et la profondeur des pensées n’est pas incompatible avec un certain humour :
Jan écrivait une musique « que l’on ne peut même pas fredonner ! » répétaient les villageois qui, lorsqu’ils passaient sous ses fenêtres, l’entendaient jouer du piano ou percevaient la musique du disque qu’il écoutait. « Du bruit ! C’est bien tout ce que ça fait, cette musique-là ! Du bruit ! »
On peut émettre un petit bémol sur l’emploi vraiment intensif – excessif ? – de l’imparfait du subjonctif. Il n’en fallait pas tant pour nous séduire.
Marguerite Roman