Valérie NIMAL, Nous ne sommes pas de mauvaises filles, Anne Carrière, 2019, 17 €, 172 p., ISBN : 978-2-8433-7932-1
Au chevet de sa mère, hospitalisée pour avoir une fois encore joué avec les limites mortelles, la narratrice n’en mène pas large. Il faudrait que la température du corps de l’alitée, à deux doigts de jouer sa dernière grande scène, redevienne acceptable. C’est que la génitrice de Maud et de sa sœur cadette, Marie, n’est pas de celles qui s’effaceraient sans bruit. À peine sortie des limbes, la voici d’ailleurs qui réclame son fer à friser, un Paris Match et surtout, de l’attention. Qui tempête sur le personnel soignant, congédie son psychiatre, et admoneste son aînée pour avoir écrit « suicide » dans le dossier médical.
Valérie Nimal, à qui l’on devait précédemment Les minutes célibataires (recueil de nouvelles tiraillées par le désir et émaillées de rencontres amoureuses publié en 2009 chez Luce Wilquin), ausculte ici avec finesse mais jusqu’à l’os la toxicité dévorante et aliénante d’une filiation. Héroïne fantasque, ambitieuse et brillante (diplômée de lettres classiques, menant des recherches sur l’Égypte ancienne), la Médée sur le fil du rasoir de Nous ne sommes pas de mauvaises filles n’en est pas moins toujours à deux doigts de l’implosion, alternant les domiciles entre son mari et son amant (surnommé Néron), transbahutant ses filles comme des valises. Fait régner sans ciller un climat d’intranquillité latente sur son foyer – souvenons-nous aussi du tourbillon Catherine dans Fugitive parce que reine de Violaine Huisman. Verse plus souvent qu’à son tour dans la violence symbolique et réelle envers Maud et sa sœur quand elle-même s’égare ou se fait reprendre de volée par son compagnon.
« J’ai cru que j’étais folle, or c’était elle. » À la manière de l’héroïne de série Jessica Jones (Netflix), se débarrassant de l’emprise néfaste de Kilgrave en égrenant sa petite litanie de rues comme un mantra protecteur, Valérie Nimal entraîne Maud dans des entrelacs de chapitres qui tantôt comptent (le corps qui reprend vie à mesure que les degrés s’échelonnent, l’élan progressif vers l’adolescence puis l’émancipation), tantôt circumnaviguent en affolant sa boussole dans cette maison du Nil Bas qu’elle doit vider de la présence patente (odeurs, fourrure, autel votif) de son occupante, la faisant chavirer entre culs-de-sacs et pièges. Comment s’extirper du cocon étouffant qu’une Mère majuscule tisse insidieusement autour de vous ? « Quand as-tu glissé au fond du terrier ? » s’interroge Maud. « […] Tu creuses au plus profond pour trouver le mystère des origines. »
Chez la plasticienne Louise Bourgeois, Maman, la sculpture géante d’araignée-tisserande, est un totem saisissant mais protecteur. Dans Nous ne sommes pas de mauvaises filles, plutôt que de prendre ses œufs dans son giron, la mère bascule plus souvent qu’à son tour du côté du monstre dont sont faits les cauchemars. Une créature funeste dont l’autrice prendra soin, mot choisi après mot choisi, mythe après mythe, d’exorciser l’empreinte létale.
Anne-Lise Remacle