Philippe REMY-WILKIN, Matriochka, Samsa, 2019, 60 p., 9 €, ISBN : 978-2-87593-209-9

Philippe Remy-Wilkin orne la signature de ses courriels et les notices bibliographiques le concernant de la mention « auteur littéraire » qu’il semble affectionner. Sans doute cette formulation embrasse-t-elle davantage la diversité éditoriale des écrits de celui qui est à la fois essayiste, critique littéraire, nouvelliste et romancier. Philologue de formation, Philippe Remy-Wilkin est passionné d’Histoire et nous a donné déjà une remarquable étude consacrée à Christophe Colomb, Christophe Colomb, Le découvreur et la découverte : mythes et réalités. On lit aussi régulièrement ses chroniques sur Karoo et Le Carnet et les Instants, de façon épisodique ses nouvelles dans la revue Marginales, et ses prises de position sur les réseaux sociaux.
Nous écrivions à la sortie de son Christophe Colomb, combien sa lecture nous avait enchanté. Son dernier roman en date, Lumière dans les Ténèbres a valu à son auteur un Sabam award 2018.
Dernière livraison de Remy-Wilkin, Matriochka, est parue aux éditions Samsa. Elle a déjà, sur manuscrit, été saluée par le prix Gilles Nelod que lui a octroyé l’Association des écrivains belges de langue française (AEB).
Le genre littéraire auquel notre auteur s’est attaché ici, le conte fantastique, lui a donné l’occasion de laisser libre cours à sa fantaisie de raconteur d’histoires, mais aussi d’érudit littéraire et culturel, fasciné par la création artistique et ses énigmatiques cheminements entre le réel et le rêve. Cette histoire protéiforme, dont un des fils narratifs se déroule à Saint-Pétersbourg, met en scène un scénariste en repérage pour une production cinématographique à venir. En lisant ce récit situé pendant le festival des Nuits blanches, on ne peut s’empêcher de songer à la fantaisie grave et angoissée qui imprègne certaines des nouvelles de Nicolas Gogol, en particulier ses Nouvelles de Pétersbourg. La coïncidence de lieu n’est sans doute pas étrangère à la fantasmagorie singulière dans laquelle notre auteur plonge son personnage, Thomas. Entrelaçant le réel et la fiction, l’Histoire et la fable, la création artistique et le vécu intime, Remy-Wilkin abat allègrement les cloisonnements entre l’imaginaire de Thomas, ses rêves éveillés (que stimule il est vrai l’usage de substances euphorisantes), l’évocation de son enfance, et d’étranges révélations sur l’histoire de Russie surgissant de rencontres rêvées avec des fantômes de la Révolution russe. L’occasion est ainsi donnée au lecteur d’aborder le mystère de la disparition de La chambre d’ambre, fresques murales sculptées dans de l’ambre authentique et offertes au tsar de Russie Pierre le Grand par le roi de Prusse Frédéric-Guillaume Ier. Cette décoration inouïe a été volée par les nazis, sans doute détruite et reconstituée aujourd’hui. Parmi les fantômes que croise Thomas, les deux enfants Alexis et Anastasia Romanoff viennent hanter son errance gogolienne…
Lire aussi : un extrait de Matriochka
On le voit, tout est matière pour déployer la fable, la mêler à la fantasmagorie du réel. On imagine le bonheur d’écriture qu’ont représenté pour Remy-Wilkin ces allées-venues entre l’histoire de Russie, les mésaventures d’un créateur en proie aux affres d’un imaginaire halluciné, et l’envahissement irrépressible de blessures d’enfance. Car c’est bien dans cet espace-là, celui de l’enfance, que tout se joue y compris la création littéraire. Remy-Wilkin ne nous contredira pas.
Jean Jauniaux