#Camille too !

Patrick DELPERDANGE, C’est pour ton bien, Arènes, coll. « Equinox », 2020, 331 p., 16 € / ePub : 11.99 €, ISBN : 979-10-375-0060-1

Les six premières pages surprennent. En surplomb du roman, soit. Nous avons l’habitude, dans les thrillers, les romans dynamiques, de ces prologues insinuant le suspense, la tension, le drame via une scène/point d’acmé située dans une temporalité décalée par rapport à la trame première. Mais Patrick Delperdange nous offre autre chose, une mise en exergue du thème qui va parcourir son opus, la femme battue et l’appréhension, intime et extérieure, du phénomène :

Parce que vous pensez que ça ne se reproduira plus jamais, que c’était juste un écart, un moment de folie, parce qu’il n’est pas comme ça, bien sûr que non, parce que vous ne pouvez pas imaginer que l’homme que vous avez épousé est capable d’actes pareils.
Même s’il vient de les commettre. 

Un page turner débute dans la foulée. Nous nous installons dans la vie d’un couple. Deux ans de bonheur tranquille, semble-t-il, mais… Pierre se met à malmener Camille, pourtant enceinte. Il a trop de travail, un dossier international trop important à gérer, des soucis ? Elle refuse d’y accorder trop d’importance. Puis d’y croire. Puis mesure et réagit, fuit.


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Le souffle, d’un coup, vient à nous manquer, le pouls s’accélère. C’est que… Camille n’a plus de parents, une affaire d’héritage l’a éloignée de son frère ; en deux ans, son conjoint a amenuisé sa vie sociale, elle s’est coupée du monde. Une fois hors de son appartement, vers qui se tourner ? Maëlle, sa seule amie, sa confidente, en instance de départ à l’étranger avec son nouvel amour, ne répond pas à ses appels téléphoniques. Que faire ? Prendre une chambre d’hôtel. Mais, en moins de vingt-quatre heures, Camille perd pied. Pierre a bloqué ses cartes de crédit, elle ne peut payer sa nuit, se voit harcelée par le propriétaire, inquiétée par la police puis par son époux.

À contre-courant, un vagabond (une anticipation de son propre futur ?) croit la reconnaître, la lie à de mystérieux événements dramatiques du passé, à sa déchéance même, mais paraît lui vouloir du bien. L’assimile-t-il à une figure rédemptrice ou à un graal ?

Maëlle, devant chez elle, assiste impuissante à la récupération musclée de Camille par un mari méconnaissable. Dans la foulée, notre héroïne disparaît. Que lui est-il arrivé ?

Les pages, les chapitres défilent. Maëlle et son compagnon Joaquim renoncent à leur voyage pour enquêter. Une jeune inspectrice de police d’origine maghrébine, plus subtile et généreuse que ses collègues, s’intéresse au dossier, zigzague entre le sulfureux mari et l’énigmatique vagabond. En filigrane, une affaire d’héritage familial hoquette chez le notaire, une série d’interrogations se faufilent sur le passé de Camille, la mort de son père, la rupture avec le frère…

Mais Camille ? S’est-elle à nouveau éclipsée ou l’a-t-on éclipsée, assassinée, enlevée ? Le titre, C’est pour ton bien, doit-il nous mettre sur la voie ?

Un thriller. Sans tarabiscotages ni digressions. La machine Delperdange, puissance tranquille qui conjugue fluidité et fermeté, avance sans temps mort, distribue l’action et les rebondissements mais se dispense d’en faire trop, dose limpidité du récit et saupoudrage d’éléments de distorsion, de suspense. Tels ces cliffhangers des fins de chapitres :

Camille sentit ses jambes se replier sous elle et se laissa tomber, en pleurs, les épaules agitées de frissons, avec l’impression d’être tombée dans un piège dont elle n’avait aucun moyen de s’échapper. 

Pour un peu, on regretterait une facture trop classique, un manque d’épaisseur des personnages, voire un art en pilotage automatique. Mais la sobriété même de la façon infiltre un deuxième niveau, une brise kafkaïenne déséquilibre et interroge, la fragilité de la condition humaine saute à la gorge. Nous passons nos vies dans la naïveté et l’aveuglement, la somnolence. Notre ancrage à la société, à l’existence s’arcboute à une poignée d’éléments, les menaces nous encerclent, la disparition, l’extinction d’un repère peuvent précipiter dans les griffes de la violence, de la néantisation.

Un roman étagé, donc. Un thriller haletant en première ligne mais, en seconde, une piqûre de rappel des abus de pouvoir et de la nécessité d’un rapport à l’autre.

Philippe Remy-Wilkin