Louis Scutenaire, dans toute l’essence du mot

Louis SCUTENAIRE, J’ai quelque chose à dire. Et c’est très court, Préface de X. Canonne, Cactus Inébranlable, 2021, 466 p., 20 €, ISBN : 978-2-39049-038-8

scutenaire j ai quelque chose a dire et c est tres courtOn ne tirera pas ici le portrait de Louis Scutenaire (1905-1987), ami et complice de Magritte, Colinet, Nougé, et activiste très actif du surréalisme en Belgique, bien plus qu’une apparente indolence le laissait croire. Mais disons-le en préambule pour éviter toute ambiguïté : l’auteur de ces lignes eut la vivifiante joie de le connaître, ainsi qu’Irène Hamoir (la « Lorrie » des Inscriptions), le plaisir de les rencontrer régulièrement tous deux rue de la Luzerne durant les dernières années de leur vie, et le bonheur intellectuel de contribuer à le faire lire ou découvrir : principalement chez Edmond Thomas (éd. Plein Chant, 1986) et dans la collection Espace Nord (le premier volume de Mes inscriptions réédité en 1990, sur les cinq initialement prévus à l’époque par Labor).

Scutenaire revendiquait non seulement le droit, mais aussi le goût de la paresse. En toute bonne foi contradictoire, il a donc beaucoup écrit, aphorismes, notations brèves, sentences, poèmes, historiettes, romans, tout en livrant également de nombreux témoignages sur ses amis peintres et poètes. Autant dire qu’il a, presque par devers lui, laissé une œuvre littéraire débordant le cadre strict du surréalisme, qu’il soit belge ou français. Par la diversité des genres et des thèmes abordés, par la force de frappe de son expression, par la fulgurance de ses mots, et des traits de caractère qui lui sont personnels, il reste dans le sillage sinueusement fertile et buissonnier de Restif de la Bretonne – mémorialiste dix-huitiémiste qui mérite encore aujourd’hui la lecture –, et dont « Scut », pour ses proches, reprit en hommage le titre du journal intime : Mes inscriptions.

On peut trouver tout et son contraire (ou presque), dans les Inscriptions de Scutenaire : personne ne pourra en figer les contours, ni statufier son auteur, comme il en advint pour Magritte au milieu des années 1950. Scutenaire fuyait les trompettes de la renommée, et c’est avec un fatalisme attristé qu’il notait, à propos de Magritte son ami, que tomba sur lui « la pelle de la gloire ».

S’adressant à un lecteur toujours hypothétique – hormis le cercle élargi des amis poètes, écrivains et peintres, et des revues essentiellement belges auxquelles il collaborait, animées par Magritte, Blavier, Mariën, Koenig, et surtout le vaillant Tom Gutt, qui mit en œuvre la parution de quatre volumes des Inscriptions –, Scutenaire adoptait une position ambivalente, ironique et parfois circonspecte, vis-à-vis de ses écrits. Ainsi : « Il faut une riche érudition, une éclatante liberté, une maîtresse intelligence et une sacrée sensibilité pour entendre mes écritures. Pas étonnant qu’elles aient si peu d’écho. » Mais également : « Par mes inscriptions, je tente aussi de rendre le silence. »

Sortir Scutenaire du silence, c’est ce à quoi s’est appliqué Jean-Philippe Querton, aux éditions du Cactus Inébranlable. De Scutenaire, il publie une anthologie de plus de 450 pages, plaisamment titrée d’un de ses aphorismes : J’ai quelque chose à dire. Et c’est très court. S’il est toujours revigorant de lire Scutenaire en long et en large, et de le faire découvrir à de nouvelles générations de lecteurs, on est partagé devant le résultat de ce travail éditorial. La sélection effectuée est à la fois thématique et entièrement subjective, faite par l’éditeur dans les cinq tomes des Inscriptions, mais sans aucune référence au volume originel. La singularité, surréaliste et autre des Inscriptions, c’est pourtant l’ensemble, le tout, sans distinction de thèmes ou d’une quelconque « valeur » littéraire : s’y croisent grenailles et pépites, le trivial et la rigueur, l’humour et l’humeur. Scutenaire lui-même a refusé que Gallimard publie un deuxième volume, parce qu’il aurait dû alors accepter la suppression de l’une ou l’autre notation qui dérangeait son éditeur.

Cette anthologie se complète d’évocations de Scutenaire par ses proches, bienvenues, mais arbitraires, qui sont des extraits de textes antérieurement publiés, des raccourcis en copier-coller (cette fois référencés). 

Alain Delaunois