Rendre grâce à la vie…

Un coup de cœur du Carnet

Nicolas CROUSSE, Retour en pays natal, Castor astral,2021, 192 p., 18 € / ePub : 9.99 €, ISBN : 9791027802869

crousse retour en pays natalEn cette fin d’été paraît aux Éditions Le castor astral, le dernier roman de Nicolas Crousse, Retour en pays natal. Ce livre « hors-normes », à la fois récit littéraire et exploration initiatique, mène le lecteur  depuis l’enfance de l’auteur dans les années soixante jusqu’à nos jours. Et au-delà…. . L’auteur nous prévient : « ceci n’est pas un roman, pas un livre de nouvelles, pas non plus un recueil de poésies, pas davantage une autobiographie. » À ce jeu-là, de dire « ce qui n’est pas », Nicolas Crousse nous dévoile en réalité tout ce qui fait ce livre et qui nous a enchanté. Ne poursuit-il pas ici l’écriture de cet autoportrait poétique paru sur le site de son éditeur (Jacques Flament) et qu’il intitulait : Je rends grâce à la vie… ? Le récit se partage en trois scansions : « Réveille-toi mon enfance », « Souviens-toi ma vie », « Dors mon âme ». Le titre est issu d’un haïku du poète  Kobayashi Issa qui paraît en épigraphe : Dans chaque perle de rosée/tremble/mon pays natal.

C’est un demi-siècle qui nous est ici raconté. Il est recomposé à partir des pièces d’un « puzzle » que le récit construit au fil des chapitres. Ceux-ci sont courts, comme pour aller à l’essentiel.  Comme si, écrits d’une plume plongée dans l’encrier du cœur, il fallait en maîtriser l’émotion ou plutôt, en ciseler chacune des manifestations. Paradoxalement cette alchimie décuple la force de l’émotion née de l’évocation d’un destin singulier. Celui-ci, par la grâce de l’écriture, nous devient familier, comme si  de toute éternité nous en étions partie prenante.

Il y a de la nostalgie dans ce Retour en pays natal. Les lectrices et lecteurs de la génération de l’écrivain (né.e.s dans les années 60), retrouveront des images, des bruits, des arômes, surgissant des pages  et qui nous envahissent soudain. Mais il y a peut-être avant tout, le merveilleux portrait d’une relation père-fils. L’auteur l’exprime avec fulgurance : « Mon père était l’homme de ma vie ! », s’exclame-t-il lorsqu’il évoque les lectures de pièces de théâtre à deux voix auxquelles l’enfant et son papa s’adonnent dans le grenier de la maison. Plus loin, la complicité entre les deux êtres se précise : «  Nous étions deux maladresses ambulantes », écrit Nicolas Crousse lorsqu’il évoque le décès de son père… « Mais, lui, mort… Qu’allais-je faire de moi ? »

Il n’est pas ici le lieu d’évoquer chacun des protagonistes de ce récit, la sœur, le frère, la grand-mère, le grand Serge, Annie, Robert. Mais aussi bien sûr, la maman et cette bonté inoubliable de celle qui aujourd’hui retrouve le chemin de la poésie qu’elle avait laissé à côté de sa vie. Mais aussi, bien sûr,  à ses filles, Nina, Rita et Cecilia, et à Adia, « et son cœur grand ».

Il faudrait aussi citer les personnages des films, des livres qui, eux aussi, alimentent l’insatiable appétit de ces années-là : Truffaut, Sautet, le petit Nicolas… En lisant ces pages-là le sentiment nous gagne d’être assis à côté de l’écrivain et d’assister à cet abandon dans l’écriture où nous l’accompagnons, si volontiers : « Tandis que je parle, que j’écris, que je me souviens, à la radio Barbara lance ce doux avertissement : Il ne faut jamais revenir aux temps cachés des souvenirs… ». Un avertissement que le narrateur écarte, poursuivant son chemin d’écriture.

Nicolas Crousse est de ces écrivains qui ne sont pas enclavés dans un genre. Ici le rêve, la poésie, la fiction romanesque s’entrelacent avec un bonheur d’écriture qui ne se dément jamais. Au loin, une petite musique se laisse entendre. Elle met en relief cet indicible que seule la littérature peut donner à entendre et à ressentir. Elle est faite des chansons de Souchon et de la bande sonore des films de Bergman, Fellini ou Sautet. Les rêveries nourrissent l’écriture et créent un style à nul autre comparable si ce n’est peut-être à la littérature vagabonde d’un Aimé Césaire (auquel le titre nous avait fait penser), à la liberté stimulante d’un Henry Miller, mais aussi à la poésie de Jean-Louis Crousse. Car il était poète, lui aussi,  ce père dont les textes ont été réédités récemment sous le titre Dors mon âme (Jacques Flament Editions, 2015). 

C’est en s’adressant à sa mère que Nicolas Crousse termine le livre: « Je prie, ma mère chérie, de toute ma ferveur je prie pour que tu retrouves, au moment de fermer tes yeux pâles, ton homme, tes parents, tes chiens. Et que ce jour-là, tout entre dans la douceur éternelle. »

S’il fallait valider la nécessité de la littérature, ce Retour en pays natal en serait une éclatante et irréfutable démonstration.  Il  sera un des enchantements de la rentrée.

Jean Jauniaux