Stefan LIBERSKI, Une grande actrice, ONLiT, 2021, 212 p., 18 €, ISBN : 978-2-87560-141-4
Cet automne, ONLiT inscrit un auteur de renom à son déjà riche catalogue. C’est en effet à l’enseigne de la maison d’édition bruxelloise que Stefan Liberski publie son nouveau roman, Une grande actrice.
Ladite actrice s’appelle Jacqueline Boulanger et est non pas comédienne de profession, mais employée administrative dans une université. Elle mène pourtant sa vie comme sur une scène, passant d’un rôle à l’autre au gré de ses humeurs et intérêts. Méprisante avec son mari, cruelle avec ses trois enfants, elle sait toutefois comment se faire apprécier :
Tout le monde adorait Jacqueline Boulanger […] Elle avait le don de capter chez ses interlocuteurs les images qui les soutenaient ou qui les débordaient, leurs pièges imaginaires. […] Elle savait aussitôt pour qui ils se prenaient, c’étaient ses propres mots. Elle leur donnait alors la réplique, car elle savait improviser sur tous les sujets. Elle confiait plus tard à [son fils] Roman ses railleries à propos des impostures qu’elle avait percées à jour. Pour elle, tout le monde était un imposteur.
À la mort de son mari, elle endosse avec talent et la même conviction le rôle de la veuve-frappée-par-le-malheur-mais-digne. Puis elle rencontre Josyane. Corps démesuré, criant très fort bien qu’ayant peu de conversation, coupe de cheveux militaire, portée sur la bière et le gros rouge : les enfants de Jacqueline, qui a toujours affiché son snobisme, ne comprennent pas ce que leur mère peut bien trouver à sa nouvelle conquête. D’autant que Mme Boulanger est aussi homophobe sur les bords.
Pourtant le couple dure, se dispute, se réconcilie lors de longs voyages ou autour d’une table dans un restaurant étoilé. Les enfants de Jacqueline se muent en spectateurs incrédules de l’histoire de leur mère.
Le précédent roman de Stefan Liberski, La cité des femmes, racontait le tournage d’un film de Fellini. S’il n’est pas question de cinéma stricto sensu dans Une grande actrice, l’écrivain y explore le jeu, celui d’une femme qui a érigé l’inauthenticité en règle de vie et ne donne à voir d’elle-même que des personnages soigneusement construits. Interprétant sans discontinuer un rôle ou un autre, Jacqueline trouve chez Josyane une fausseté qui répond à la sienne :
Elle prenait une voix d’homme, ou plutôt la voix d’une femme qui, pour jouer, aurait mimé celle d’un homme.
On craint un instant que l’auteur ne s’égare dans une caricature de lesbienne à la manière de Gazon maudit, mais on est rapidement rassuré, tant l’outrance sert ici le propos du livre et n’est pas réservée au personnage de Josyane. Liberski, qui a par ailleurs adapté au cinéma Ni d’Ève ni d’Adam d’Amélie Nothomb, désigne en effet Josyane comme « un être merveilleusement nothombien » :
À la fois Palamède Bernardin des Catilinaires, son épouse le kyste et le couple de retraités, elle représentait une sorte de condensé. Un agent l’aurait sur-le-champ engagée pour le film, voire la série.
De son modèle revendiqué, Une grande actrice adopte le physique hors norme du personnage et les relations humaines complexes, vécues sur le mode du conflit et de la cruauté.
Le roman de Liberski est pourtant bien loin de l’ersatz d’Amélie Nothomb. L’auteur et cinéaste y fait entendre sa petite musique et son humour singulier. La scène des funérailles du mari est ainsi un sommet de drôlerie.
Précis, incisif, le portrait de femme que brosse le romancier est comme mis à distance. Par de brèves notations, le pouvoir dévastateur de Jacqueline sur son mari et sur ses trois enfants est mis au jour. Ce roman narre ; il n’explique pas. Il offre une scène de quelque 200 pages à sa grande actrice, mais se garde bien de nous donner accès aux coulisses.
Nausicaa Dewez