De l’amitié, sa belle tessiture…

Philippe COLMANT et Philippe LEUCKX, Frères de mots, Coudrier, 2022, 90 p., 18 €, ISBN : 978-2-39052-030-6

colmant leuckx freres de motsPhilippe Colmant  et Philippe Leuckx se sont rejoints dans un volume écrit à quatre mains, orné de photographies en noir et blanc. Le titre Frères de mots se justifie d’emblée : rien n’indique auquel des deux Philippe attribuer tel ou tel poème. L’auteur des photographies, paysages de forêts et chemins de campagne enneigés, n’est pas davantage identifié dans ce recueil paru aux Éditions Le Coudrier.  C’est bien d’un entrelacement délibéré qu’il s’agit pour ces deux poètes, excluant que l’un se prévale d’une image fût-elle stylistique ou argentique.

Chaque poème donne à cette complicité un éclairage fraternel, d’autant plus intense que l’un et l’autre se retrouvent dans chaque mot déposé dont ils se dépossèdent. Y a-t-il échange plus profond que celui-ci, entre deux artistes, mêlant leur encre, rendant de l’amitié/ sa belle tessiture ?  Chaque page du recueil évoque avec une puissance que Montaigne – dont on sait les pages inoubliables que lui inspira la mort de son ami La Boétie –  ne récuserait pas, la force de l’amitié qui irradie de ces Frères de mots. Cette amitié sans laquelle semer le ciel/ reste hors de portée est déclinée en quatre-vingts variations évoquant le partage (partager la sente/et la mie du poème), la fidélité (de la main qui offre / tu sais cette sève / du don qui fait grandir) la communauté de la poésie (Et nos rimes fleurissent / Dans le vase de la vie), le silence bienvenu (Les portes béent / sur les mots / pleins de nos silences).

Surgit aussi de cette fraternité complice une lumière renouvelée de la création poétique, un encouragement mutuel à Cueillir la fleur de l’ombre mais aussi une force décuplée pour affronter la solitude si elle survient, le doute s’il lance un assaut, la peur si elle étreint l’un ou l’autre des amis.

De poème en poème, l’amitié trouve les mots, les assemble, les entremêle et nous donne à aimer ces Amis en découverte / Assis dans les cailloux / Le nez dans les étoiles.

Colmant et Leuckx célèbrent ici avec force et grâce, ferveur et gravité cet indéfinissable lien qu’est l’amitié. La photographie ornant la couverture et le dernier poème du volume, – deux arbres aux feuillages emmêlés découpant leurs silhouettes au bout d’un chemin blanc de neige –, laisse deviner les indicibles réseaux souterrains de l’amitié que nourrissent l’affection, la confiance, la tendresse, les serments, autant de signaux que les cœurs battant s’offrent en partage. Trace en est dans un des textes les plus sensibles :

Nous nous touchons
par des racines
profondes
parfois invisibles
à nous-mêmes. Nous laissons venir
à nous
ce sang des mots
petites pulsations
de vie.

Seuls les interstices de la poésie peuvent en dévoiler quelques traits lumineux. Ceux que les poètes ici nous offrent, brandissant [leurs] poèmes/ dans la foule du monde.

Jean Jauniaux

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