Divine aux deux visages

Catherine LOCANDRO, Le portrait de Greta G., Les pérégrines, coll. « Les audacieuses », 2022, 304 p., 19 €, ISBN : 979-10-252-0565-5

locandro le portrait de greta gAprès deux romans pour la jeunesse, Catherine Locandro revient à la littérature générale avec Le portrait de Greta G. Changement de public, mais point de genre : comme auparavant avec le roman pour adolescents Cassius (évocation de Mohamed Ali parue chez Albin Michel, qui a remporté le prix Première – Victor en 2021), ce sont les terres de la biofiction que l’autrice arpente ici. Elle s’attache cette fois à l’icône hollywoodienne Greta Garbo (1905-1990).

La collection « Les audacieuses » des éditions Les pérégrines, qui accueille le livre, suit une ligne très précise: composée de romans signés exclusivement par des autrices, elle vise à « [o]ser la fiction pour faire surgir toute l’indocilité de femmes inspirantes ». Ce programme est un écrin à la mesure de l’immense comédienne. Née en Suède dans un milieu modeste, Greta Garbo a quitté sa terre natale pour Hollywood (en passant par Berlin et New York), est devenue une star du cinéma muet et, cas rarissime, a réussi à s’imposer aussi dans le parlant. Enchainant les films, elle a toujours cherché à rester éloignée des mondanités et de la vie publique. Pour les spectateurs de son temps, elle était La divine (un surnom qui lui vient de The Divine Woman, un long métrage tourné en 1928 sous la direction de Victor Sjöström), et la rivale de Marlene Dietrich, selon le scénario soigneusement entretenu par leurs studios respectifs (MGM pour Garbo, Paramount pour Dietrich). Garbo androgyne, Garbo et ses amours masculines et féminines, Garbo en quête perpétuelle de perfection, Garbo tourmentée, cherchant coûte que coûte à préserver son intimité, menaçant sans cesse ses producteurs d’arrêter le cinéma et de regagner sa Suède natale. Garbo qui, un jour, a cessé de menacer et a arrêté le cinéma. Définitivement. La femme aux deux visages de George Cukor, sorti en 1941, aura été son ultime film. La star a ensuite définitivement quitté la lumière dont elle s’était toujours tant méfiée.

Garbo n’avait jamais été des nôtres, et jamais vraiment ailleurs. Elle n’était nulle part.

Le portrait de Greta G. saisit l’actrice au début des années 1980, alors qu’elle se rend, incognito, dans un petit cinéma new-yorkais pour assister à la projection de l’un de ses films. Adoptant un dispositif choral, le roman passe tour à tour du point de vue des spectateurs présents – des admirateurs de la Divine – à celui de l’actrice. Assise dans la salle obscure, elle contemple son image et entame un dialogue avec les fantômes de son passé, prétexte à une évocation des grandes étapes de son parcours, de l’enfance au soir de sa vie. Le matériau est d’or, tant le parcours de l’actrice et son aura de mystère recèlent toujours un pouvoir de fascination pour les lecteurs et une invitation à la rêverie et à la fiction pour les écrivains. Pour Catherine Locandro, la fiction ne s’entend néanmoins pas sans une solide documentation, confirmée par la bibliographie qui clôt le livre. Revers (véniel) de cette indispensable rigueur, son roman hésite par endroit entre l’histoire et l’encyclopédisme.

La ligne de force de l’ouvrage réside toutefois dans le parallélisme établi entre la trajectoire de l’interprète de La reine Christine et celle de Dorian Gray. Ce rapprochement n’est certes pas vraiment une trouvaille : on sait que Garbo ambitionnait – rêve avorté – de jouer le héros d’Oscar Wilde et le bédéiste Stanislas Gros, dans son adaptation du roman parue en 2008, avait déjà donné à Dorian Gray les traits de l’actrice suédoise. Les mots de Catherine Locandro donnent corps à une adaptation cinématographique fantasmée, qu’elle imagine réalisée par G. W. Pabst, et interprétée par G. Grabo, avec Marylin Monroe et Montgomery Clift dans les rôles secondaires. Ce film fantôme hante la Garbo du roman. Dorian Gray est le rôle de sa vie, dans tous les sens du terme, elle qui comme le jeune dandy ne cesse d’être confrontée, à chacun de ses films, à sa propre image, sublimée par la caméra, figée dans sa beauté et sa jeunesse. Aspirant à n’être pour le public que ce visage à la stupéfiante beauté qui se dessine sur l’écran.

Avec Le portrait de Greta G., Catherine Locandro nous convie finalement à une histoire de projections. Celle qui se déroule dans le cinéma qu’a rejoint Greta, celle que l’héroïne opère sur le personnage d’Oscar Wilde. Celle, enfin, de la romancière sur une actrice devenue sa Garbo.

Nausicaa Dewez

Plus d’information