Jean-Michel LECLERCQ (Texte)et MArie MAHLER (Illustration), J’habite ici aussi, CFC, 2022, 46 p., 15 €, ISBN : 978-2875720795
Depuis quelque temps, on découvre des photos et des anecdotes de rencontres d’animaux et d’humains en pleine ville. Le monde sauvage et le monde urbain coexisteraient-ils ? Telle maison communale filme les rapaces installés sur son toit, telle autre cherche des solutions pour éloigner les renards des poubelles. Nos villes bruissent et servent de cachettes à cet autre monde. MArie MAlher et Jean-Michel Leclercq ont compris. « Ils habitent ici aussi ». C’est ce que nous raconte leur livre. Album témoignage.
Fascinés, les deux complices sont allés à la rencontre de ces personnes qui ont observé et laissé entrer. Celles et ceux qui un temps se sont arrêtés et ont pris le temps de regarder le monde sauvage à leur porte. MArie MAhler et Jean-Michel Leclercq sont les passeurs de ces histoires et nous rapportent avec délicatesse ces rencontres, « les histoires vraies de rencontres urbaines et sauvages ». Seize rencontres nous sont contées. Une rencontre pleine d’espoir entre Barbara et des biches, des échanges entre un merle et un musicien, la voracité des coccinelles Bernadette, le deuil de Vénus le martinet, la délicatesse d’Alice la chauve-souris, le rappel aux lois de la Nature fait à Judicaël, Jean-François ou Sandra, la malicieuse chasse aux chaussures des renardeaux, la gourmandise de Dédé la fourmi… La transmission de ces histoires permet alors la sensibilisation au monde sauvage. En faisant fi des préjugés, on ne peut qu’être touché par ces rencontres. Toutes les personnes racontant ces rencontres à Jean-Michel Leclercq et MArie MAlher ont accepté d’observer, de laisser faire, de ne pas ou peu intervenir.
Le texte de Jean-Michel Leclercq lance un appel bienveillant à laisser entrer le sauvage chez nous et à coexister. Ne pas se sentir supérieur, car l’humain est un être vivant comme les autres. Sans cette attention, nous pourrions passer à côté de ces magnifiques rencontres qui ont bouleversé et marqué les protagonistes humains. Une femme raconte à propos de sa rencontre avec des biches, « un jour il y a très longtemps, j’ai appris à déjouer la tristesse grâce à un vieux vélo et à deux chevreuils. […] C’est ça la vie. C’est nous et tous les êtres autour. C’est doux ». Un autre, musicien, rapporte sa rencontre avec un merle : « était-ce lui qui jouait avec moi, ou était-ce moi qui jouais avec lui ? ».
Les mots de Jean-Michel Leclercq et les illustrations de MArie MAhler nous apprennent. Il fallait peut-être, pour nous rapporter ces rencontres sauvages et urbaines, la rencontre d’un anthropologue et d’une magicienne des couleurs. L’écriture de Jean-Michel Leclercq nous fait littéralement vivre ces moments. Les 16 histoires sont belles, souvent drôles et malicieuses. Elles nous rappellent que ne pas intervenir c’est respecter le vivant. Adultes et enfants s’y entendront. Avec les mots de Jean-Michel Leclercq, l’enfant grandit, l’adulte retombe dans le temps de l’Enfance. Point de leçons de morale, seulement des histoires, des conseils. MArie MAlher de son côté explose les récits avec ses couleurs. Une planche d’illustrations par histoire, et ses papiers de couleurs nous transportent dans un monde espiègle où l’on retrouve un mont Olympe aux gros yeux curieux, un lérot dans un chapeau, des escargots, des fourmis ailées et des voitures voltigeant ensemble. La richesse des couleurs des dessins, des peintures, le travail de découpe, de collage est impressionnant. Le style est percutant et reconnaissable. Vivifiant comme le monde sauvage.
J’habite ici aussi est riche. Après sa lecture, nous sommes pleins de ce monde qui nous entoure. Nous questionnons notre rapport au sauvage, notre capacité à percevoir le monde qui nous entoure, à l’accepter et à le laisser vivre. Nous apprenons que l’aimer, c’est le laisser en paix, ne pas le dompter. Cette ouverture au monde sauvage est un message écologique. Sortons du rang des humains et laissons la sauvagerie nous imprégner.
Hélène Théroux