Au nom du père… Amen ?

Salvatore MINNI, Désobéissance, M+ éditions, 2023, 325 p., 17,90 € / ePub : 13,99 €, ISBN : 978-2-38211-136-9

minni desobeissanceGuillaume brasse des affaires à New-York et s’inquiète. Son ex-femme Nathalie, au téléphone, a évoqué des cambriolages violents dans son quartier. Il a un pressentiment. S’en veut d’avoir décalé la garde de sa fille, dix ans, qu’il chérit par-dessus. Il n’aspire qu’à regagner Bruxelles, la maison de maître où il devrait récupérer Mia. Quand il arrive sur place, la porte est entrouverte, il se précipite et… Un peu plus tard, Sarah, une quadragénaire aussi épanouie dans son travail et ses ambitions que maladroite et solitaire dans ses liens personnels, se met à entendre une voix. Une fillette lui apparaît. Une revenante ? Qui tente de lui faire comprendre qu’elle a besoin d’elle. D’abord pour son père, qu’il s’agirait de rassurer, puis, au fil des courtes interventions, en faveur d’une autre petite fille, qui serait en grand danger à cause dudit père.

Qui est-il vraiment, ce père, Guillaume, qui a d’abord paru si attentionné et attachant ? Si sa femme Nathalie l’a quitté, après dix ans de mariage, c’est qu’il n’a pas pu continuer à repousser les fantômes (ou démons) d’une enfance traumatisante, idolâtré par son propre père, un homme ultra-violent et méprisant à l’égard de sa femme et de sa fille. Nous plongeons dans les trajectoires chaotiques de deux protagonistes, Guillaume et Sarah, deux fils parallèles qui vont converger. Car Sarah a beau lutter, refuser l’inacceptable, elle va finir par recourir à un psychiatre, à l’hypnose et…

Ajoutons quelques ingrédients majeurs : Rita, la meilleure amie de Sarah, sort avec un Jacques très mystérieux, qui refuse de lui être présenté ; Jessica, élevée par sa grand-mère, ressemble à Mia, jusqu’à attirer l’attention de Guillaume…N’en disons pas plus ! Le lecteur de Désobéissance aura vite compris qu’il est embarqué dans un page turner, dont la force réside dans le suspense, les indices et les rebondissements.

Où situer Salvatore Minni dans le sillon (de plus en plus conséquent) du thriller francophone ? On est loin des thrillers littéraires de Jean-Marc Rigaux (Kipjiru), Bernard Antoine (Aquam), Alain Berenboom (Hong-Kong Blues) ou Kenan Görgün (Le second disciple). Loin aussi du classicisme simenonien d’un Armel Job. Au large la sociologie, les digressions et les descriptions, les saillies poétiques ou philosophiques. Salvatore Minni joue résolument la carte du thriller pur et dur. Plus proche sans doute d’une Mary Higgins Clark. Le tout à la narration, à l’émotion, au frisson. Un peu comme dans ces premiers films de zombies de Romero, qui décapaient l’art du récit et réapprenaient le sens du moment comme pièce de puzzle. C’est dire que la langue est secondarisée : elle n’est là que pour porter l’intrigue et s’avère claire et nette, simple et vive :

Guillaume jeta un coup d’œil rapide à la salle à manger et au salon. Le buffet était ouvert. De la vaisselle cassée au sol. Son sang ne fit qu’un tour. Il monta l’escalier à grandes  enjambées. Il entra dans la chambre de la fillette. Pas une âme. 

On notera quelques spécificités de l’auteur. Salvatore Minni n’hésite pas à zapper une scène convenue et à recourir à l’ellipse (la bonne influence des techniques américaines ?). Désobéissance va chercher par la main un public potentiel assez large, en le confrontant à des situations très réalistes de la vie de tous les jours, à des choix douloureux, à des regrets ou remords qui sont le lot de chacun. Jusqu’où porter son attention, entre le trop et le trop peu ? Comment répartir son temps harmonieusement entre la réalisation intime (privée et professionnelle) et les nécessaires connexions à l’autre (parents, conjoints, amis, enfants, etc.) ? Où est le point de bascule entre l’obéissance, qui structure avant d’annihiler, et la désobéissance, qui entrave avant d’émanciper ou de sauver ? Etc.

À bien y regarder, le titre était écrit différemment sur la page de garde : (Dés)Obéissance. Une mise en abyme du fond du roman. Le Mal déferle à la suite d’un trop-plein d’obéissance, de soumission. Mais le Mal sera peut-être vaincu par la désobéissance.

À vérifier. Dans les dernières pages…

Philippe Remy-Wilkin

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