Michel LAMBERT, Cinq jours de bonté, Le beau jardin, 2023, 252 p., 20 € / ePub : 9,99 €, ISBN : 9782359700749
Thomas Noble, le narrateur, emmène sa femme Raya à Ostende. Une permission de cinq jours lui est accordée. Hospitalisée dans une clinique spécialisée, c’est sa première sortie depuis longtemps. Thomas est nerveux. Il a peur de ses réactions. Du couloir de la mort où elle végète, il espère la conduire dans le couloir de la vie. Beaucoup de non-dits s’interposent. On sent un passé pesant, une fracture. Tous les deux sont enfermés dans des prisons différentes et ont banni depuis belle lurette de nombreux mots de leur vocabulaire, tels que chance, « espoir, demain, bonheur, chanter, rire… ». Thomas fait le clown pour détendre l’atmosphère, mais il est maladroit.
Après un départ un peu bancal, Thomas redécouvre peu à peu une Raya souriante et aimante. Ils retrouvent également Ostende, cette ville où ils sont venus si souvent pour le bal du Rat mort. Ils séjournent à Hôtel Royal, comme avant, et retrouvent quelques habitués tels que Franck, un pilote privé qui tient le whisky comme personne.
Au fil des pages, le narrateur révèle ses secrets : la perte de son emploi, la disparition d’un proche, les liaisons qu’il a entretenues… Dit-il toute la vérité ? Raya accepte, semble plus résignée que jamais. Elle prend ses médicaments comme un bon petit soldat, se repose, s’apprête pour son mari, désireuse de lui plaire. Seul lui manque cruellement leur fils Patrick, parti étudier aux États-Unis. Thomas profite de chaque sieste pour sortir – désire-t-il fuir ?
Thomas et Raya parviendront-ils à goûter à nouveau à la vie ? Ces cinq jours vont-ils les rapprocher ou au contraire les défaire ? Cinq jours de bonté, de répit, de retrouvailles et de tendresse, mais aussi de maladresses, de faux-semblants, de médiocrité et de fuites.
Dans ce très beau roman, Michel Lambert nous plonge dans l’instantané d’une vie. Derrière le romancier, on reconnait le talent de nouvelliste qui ne s’embarrasse pas de retours en arrière ni d’explications. Le passé est là, de même que les non-dits. Mais qu’importe. Ce qui compte, c’est l’instant présent, celui de deux êtres en souffrance qui sont sur le chemin, peut-être pas de la guérison, mais au moins du pardon.
Dans les récits de Michel Lambert, les personnages lèvent fréquemment les yeux vers le ciel pour y trouver un signe d’encouragement, un apaisement… Dans Cinq jours de bonté, le ciel peut réfléchir les états émotionnels du narrateur et passer, en quelques minutes, du grand bleu au gris le plus sombre. Le ciel est versatile et « tout cabossé », comme l’est tout être humain.
Le dédoublement du narrateur est accentué par cet autre lui, « cet homme qui lui ressemblait », ce Thomas du passé qui, tout au long du roman, surgit. Va-t-il le comprendre, l’aider ? Ou au contraire l’affronter, le juger ? Cet homme qui lui ressemblait n’a-t-il pas lui aussi « une main brûlée » ?
Michel Lambert décrit la vie qui se déploie. Il parvient à magnifier des choses anodines, à rapprocher le quotidien, à l’aide des mots, d’une œuvre picturale :
Cette vie qui éclatait partout. Un commerce de fleurs avec sur le trottoir des plantes résistantes au froid. L’odeur d’une boulangerie. Des peintres en bâtiment sur leur échafaudage qui se lançaient des vannes, des trottinettes électriques lancées à toute allure, un chien errant…
Grand amateur d’art, l’auteur truffe son roman de références picturales. Il y a la présence de peintures, notamment Poliakoff, et Ostende fait irrémédiablement penser à James Ensor. L’univers carnavalesque, les masques et déguisements sont convoqués par la présence du bal du Rat mort, un bal costumé organisé chaque année depuis 1898. Enfin, en couverture, une magnifique toile d’Edward Hopper, The morning sun (1952), donne le ton et résume parfaitement ce roman. On y voit une femme, seule, au visage fermé, prise entre quatre murs. Face à elle, une fenêtre laisse entrer les rayons du soleil. Dehors, le ciel est bleu, la journée s’annonce lumineuse. Mais rien n’est jamais certain. Tout peut basculer à tout instant. Le laid et le beau, l’ombre et la lumière, la mort et la vie… ces contradictions cohabitent dans l’œuvre de Michel Lambert et parfois se livrent « une sourde lutte d’influence, souterraine et hypnotique ». « Tu gagnes un jour, tu perds le lendemain. » Mais l’espoir ne disparait jamais. On ne sera pas étonné d’apprendre que nombre de toiles d’Edward Hopper ont été inspirées par des nouvelles, notamment d’Hemingway, un auteur que Michel Lambert apprécie particulièrement. Littérature et peinture sont assurément liées.
Émilie Gäbele
Plus d’information
- Michel Lambert : l’art de croquer les grands blessés de la vie (Le Carnet et les Instants n°186, 2015)
- La fiche de Michel Lambert