Un coup de cœur du Carnet
Marc DUGARDIN, Dans la solitude inachevée, Rougerie, 2023, 76 p., 13 €, ISBN : 978-2-85668-423-8
Emprunté au poème de Véronique Wautier (1954-2019) placé en exergue, le nouveau titre de Marc Dugardin, Dans la solitude inachevée, s’inscrit dans la lignée de ses précédents recueils publiés aux éditions Rougerie. Pensons à Table simple (2015), Lettre en abyme (2016) et D’une douceur écorchée (2020) qui se construisent notamment autour du motif de l’oiseau, de l’interrogation qu’il porte en son sein. Celle-ci est tant d’une simplicité désarmante que d’une densité blessante, car « ce qui traverse le chaos / ressemble à un oiseau ».
Quelle est cette interrogation qui traverse la poésie de Marc Dugardin comme un fil rouge et ensanglanté ? Elle noue particulièrement la présence à l’étonnement, l’étonnement au frémissement, et le frémissement à la blessure. Scindé en quatre parties comme autant de saisons, dont trois convoquent explicitement dans leur titre la sphère musicale à laquelle l’oreille du poète est particulièrement sensible. Mâtinés de silence, les poèmes de Dugardin tentent en effet de capter au plus près la vibration d’un mot, la couleur d’un chant ou d’un affect qui sourd d’une partition intérieure.
le tympan vibre
et la tempe
où le sang
bat
à quitte ou double
La première partie intitulée Dans la solitude inachevée déploie une série de tableaux dans lesquels les éléments (vent, nuages, lune, lumière,…) s’incorporent, se « sensorialisent » eux-mêmes dans la parole. Prenant pour point de départ un moment singulier, ceux-ci deviennent des atmosphères, des affects à part entière. C’est écrit sur la partition, la seconde partie, évoque de façon lancinante le sort de quatre musiciens, Hans Krása, Viktor Ullmann, Gideon Klein et Pavel Haas, déportés à Auschwitz. Cette section est une méditation puissante sur ce que peut la musique, qui articule les larmes et la bonté, traverse l’horreur et la mémoire.
Se taire, immensément. Entendre, alors, l’écho d’une confidence. Qui n’est pas d’un seul, mais de tous. Écrire, ensuite. Entre les lignes, le silence passe de main en main.
Chaque poète a certainement l’un ou l’autre poète de prédilection, avec lequel il dialogue, entre en compagnonnage. Marc Dugardin, qui a longuement lu Joë Bousquet et notamment le recueil Traduit du silence, propose quelques Variations sur un thème de Joë Bousquet : y vibrent le non-dit, le silence, la question de l’écriture. S’en suit une petite suite lyrique qui clôt le recueil, creusant le dire « je » articulé à la « mémoire d’être né », si douloureuse et miroitante à la fois.
Dans la solitude inachevée est un recueil dense qui révèle que le sens n’est jamais donné. S’il n’existe aucune main par essence secourable, quelque part les poèmes de Marc Dugardin le sont.
Charline Lambert