La constellation poético-écologique des Bodart-Richter

Un coup de cœur du Carnet

Florence RICHTER et François OST (dir.), La tribu Bodart-Richter. Entre écologie et poésie, AML Éditions, coll. « Archives du futur », 2023, 292 p., 28 € / ePub : 14,99 €, ISBN : 9782871680956

la tribu bodart-richterÉvénement dans le catalogue de AML Éditions, l’ouvrage consacré à la famille d’écrivains Bodart-Richter l’est à plus d’un titre. Tout d’abord parce que, publié dans la collection « Archives du Futur » des Archives et Musée de la Littérature, ce volume se place sous le signe d’une œuvre plurielle, multiple, celles du poète et essayiste Roger Bodart, de la romancière, dramaturge et essayiste Marie-Thérèse Bodart, de la nouvelliste et essayiste Anne Richter et de l’écrivaine Florence Richter. Ensuite, parce que le panel des riches contributions (Jean-Claude Vantroyen, François Ost, Manon Houtart, Saskia Bursens, Yves Namur, Éric Brogniet, Florence Huybrechts, Pascale Toussaint, Christopher Gérard, Isabelle Moreels, Patrick Bergeron, Florence Richter, sans oublier l’introduction signée par Laurence Boudart et Florence Huybrechts) se rassemble autour des lignes de convergence entre l’œuvre de l’un et des autres, à savoir le nouage intime entre écologie et écriture.

Pionniers, « très tôt alertés par la destruction du vivant, la puissance nucléaire et l’impérialisme techno-industriel » (Boudart/Huybrechts), Roger Bodart et Marie-Thérèse Bodart construisent chacun à leur manière une œuvre traversée par le motif de la fusion avec la nature. Davantage qu’un motif qui se décline dans les romans à la lisière du fantastique, d’une sensualité romantique et de réflexions métaphysiques de Marie-Thérèse Bodart (rappelons que, paru en 1938, son premier roman, Les roseaux noirs, fit scandale) ou dans la poésie de Roger Bodart marquée par l’union avec le cosmos, l’harmonie recherchée entre les formes du vivant, entre l’humain et la nature compose le moteur d’un acte d’écriture doté d’un engagement intellectuel. C’est sous d’autres guises que le noyau écologie-poésie se voit expérimenté dans l’œuvre hantée par le réalisme magique d’Anne Richter et dans l’œuvre sauvage, écoféministe et militante de Florence Richter.

Davantage qu’une source de l’imaginaire de la tribu Bodart-Richter (dont les essais rappellent aussi l’importance en tant qu’acteurs et médiateurs, passeurs de la scène culturelle et artistique belge), l’attention et le combat en vue d’une co-habitation pacifique entre l’humain et les règnes animaux, végétaux, minéraux forment le souffle transcendantal que chaque membre de la tribu infléchit de manière singulière. Au travers de quatre écrivains, de trois générations, le rapport à l’écriture engage l’œuvre dans l’Histoire, dans la vie, au carrefour de l’écolittérature, de l’analyse de l’intime et de l’inscription dans le Tout. Dans leur introduction, Laurence Boudart et Florence Huybrechts soulèvent une question souvent minorée dans le champ des études littéraires : à côté des familles spirituelles dont se réclament les écrivains, dont ils se proclament les héritiers, les descendants électifs, qu’en est-il de l’incidence de la transmission symbolique, culturelle, inconsciente véhiculée par l’entourage, a fortiori lorsque ce dernier ressort à la catégorie de familles d’écrivains ?

Florence Richter analyse la quête de l’harmonia mundi, de la symbiose avec la nature qui prévaut dans la tribu : « je crois que, dans ma famille d’écrivains, s’est transmis un esprit sauvage et chaleureux, qui s’oppose à l’obsession de l’utilitaire dans la vie : il s’agit de ‘l’esprit de poésie’, comme le nommait toujours ma mère dans nos discussions sur la vie et sur l’art. »

Les voix de la nature, des forêts, des passions incendiaires, de la mystique, de l’autre en nous, de l’inconscient, du fantastique, des archétypes qui bruissent dans la constellation des œuvres du quatuor transgénérationnel libèrent tout à la fois une politique de l’amitié horizontale, verticale et diagonale, intraspécique et interspécique, un pari pour un changement de notre vision du lien avec la nature et une aventure intellectuelle unique dans le paysage des Lettres belges.

Véronique Bergen