La ville porte ses fruits (littéraires)

Jan BAETENS, Cahiers de Grenade (Retrait au noir), Tétras Lyre, 2023, 14 €, ISBN : 978-2-930685-70-0

baetens cahiers de grenade« Il me faut un lieu pour écrire
Deux coudes sur la table pour rire
Un moment pour tout bien peser
Le bonheur de ne rien proscrire
L’inspiration à boire corsée 
»

Après ses récentes Vacances romaines (publiées aux Impressions Nouvelles), le poète et critique Jan Baetens s’est retiré à Grenade. Il en livre ses observations dans son nouvel opus, Cahiers de Grenade, sous-titré Retrait au noir et publié aux éditions Tétras Lyre. Mâtiné de sensibilité, de finesse et d’humour, ce recueil nous invite à dépasser les clichés et le point de vue touristique sur la ville espagnole (comme sur n’importe quelle ville, par ailleurs) en formulant l’idée que « l’essence d’une ville n’est pas d’être, mais de faire signe ». Alors, quels signes lui adresse Grenade ?

D’emblée, ce sont des clins d’œil que fait naître l’attention du poète à tout ce qui l’entoure. Et ce, jusqu’aux moindres détails qui vibrent en deçà du visible : un parfum, une atmosphère, une pensée. Ce sont ses déambulations dans la ville (la plupart des titres des poèmes font référence à un lieu précis de la ville, une place, une rue, un magasin, un arrêt de bus,…) qui nous font, eux, signe en retour.

Mais c’est surtout à l’aune de l’étude et de la recherche que s’éprouve le livre de Jan Baetens. Ainsi d’un dictionnaire des lieux et pays mythologiques, de digressions sur la traduction de tel ou tel mot, de la réflexion sur les épaisseurs des vocables eux-mêmes. Jouant sur la langue, les sonorités et les définitions, à partir de la « retraite », du « repli », c’est non moins la silhouette d’une ville devenue singulière qui se dessine dans l’esprit du lecteur. Elle est singulière en ceci que ses composantes deviennent transfigurées par l’écriture de Jan Baetens.

Quant à ‘noir’ et à ‘Grenade’, n’est-ce pas une allégorie des caractères alignés sur la page blanche – à cette différence près qu’en l’occurrence, c’est le blanc qui écrit sur le noir ? 

C’est donc la langue et la lecture qui deviennent le véritable sujet/objet de ce livre. La ville de Grenade devient l’allégorie du livre, le livre l’allégorie de Grenade. Émaillé de références et ponctué d’un index, le livre prend la forme d’un de ces livres précieux qui scintillent dans la (re)découverte de chaque lecteur qui le saisit dans ses mains. Également, Jan Baetens nous montre, in fine, comment chaque ville est elle-même un livre ouvert, se prêtant à d’infinies lectures et relectures.

Charline Lambert

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