Marc GOSSÉ, Gossec, Le maître des chœurs (1734-1829), Samsa, 2023, 166 p., 20 €, ISBN : 978-2-87593-462-8
Voici un ouvrage consacré à un musicien fort oublié aujourd’hui, à la riche discographie pourtant, qui a mené sa carrière et sa vie sous les rois Louis XV et XVI, la Révolution et la Terreur, l’Empire et la Restauration. En s’adaptant à tous les régimes, en leur survivant, jusqu’à atteindre 95 ans. Mais quel musicien ! Le père de la symphonie, un inspirateur de Mozart, l’orchestrateur de la première Marseillaise, etc.
Avant
Architecte et urbaniste, Marc Gossé, avec Gossec, nous livre un premier roman nimbé d’un halo d’incertitude. La 4e de couverture annonce un « roman » et un « journal intime », une page de garde un « roman/essai ». Quant à François-Joseph Gossec, il est né Gossé, ancêtre de notre auteur. Un halo ! L’avant-propos prolonge la sensation. Marc Gossé, en vidant la maison parentale après le décès de son père, aurait découvert un trésor caché « dans le tiroir secret à l’arrière d’un secrétaire » : « des brouillons de lettres et des copies de notes que je devinai très vite de la plume de Gossec ». D’où le déclic aboutissant au livre ?
Si on lit entre les lignes, le projet est né durant la pandémie, avec « la disponibilité et l’esprit d’introspection » qui en ont résulté pour l’auteur. Tout en étant connecté à un élan familial : le père de Marc avait rassemblé « une documentation très riche » sur leur ancêtre, initié une sorte de culte, d’appétit. Des indices affleurent : des cartes postales de Magritte accompagnent le trésor caché (Ceci n’est pas… aurait dit Bernard Visscher !) et l’auteur filigrane une mise à distance (« Authentiques ou non », « S’il est certain ou hautement probable »). Le doute enfle : le tournant des 18e et 19e siècles voit justement fleurir les supercheries littéraires : Mérimée et Le théâtre de Clara Gazul, Lamothe-Langon et les Archives secrètes de la police de Paris, qui ont inspiré Le comte de Monte-Cristo, etc.
Un faux journal intime ?
Pendant
La lecture débute par la description d’un tableau de David consacré aux obsèques de Gossec. Minutieuse, elle reconstitue un microcosme où déambulent la reine Marie-Antoinette et Voltaire, Mozart et Condorcet, Toussaint Louverture et Anacharsis Cloots, Beethoven et Grétry, Robespierre et Bonaparte, etc. Mise en abyme, elle anticipe le texte véritable : une juxtaposition de scènes courtes, enjouées ou philosophiques, où Gossec joue les cicérones, installant le lecteur à la table des célébrités du temps. Un livre-puzzle. Qui se lit avec entrain. On en saura un peu plus sur la trajectoire d’un Fouché, les relations entre Condorcet et Robespierre, etc. Au fil des tableaux-scènes, on perçoit l’atmosphère d’une époque, ses horreurs et ses contradictions, ses ouvertures aussi : Élisabeth Vigé-Lebrun est une peintre reconnue ; Olympe de Gouges lutte pour l’émancipation féminine ; le métisse Saint-George aspire aux plus hautes distinctions musicales, etc. Notre époque n’a rien inventé, tout progrès court sur des siècles, avec des pauses et des régressions.
On sursaute beaucoup, à galoper d’une interaction à une autre. Jusqu’à intuitionner… Le musicien Gossec, au-delà de son intérêt intrinsèque, ne sert-il pas de miroir à son descendant, véhiculant la vision du monde et les aspirations humanistes de l’auteur :
(…) le bien ne peut éclore que du beau. Ainsi le pensaient déjà les anciens. (…) Quand la force s’empare de la justice, la liberté est en danger. La justice doit être clémente. Les coupables d’aujourd’hui peuvent être les héros de demain.
Qui parle ? Gossé ou Gossec ? Un récit testamentaire ?
Après
On a entamé Gossec avec hésitation, on le quitte avec regret, tourneboulé par les révélations finales du texte et de l’auteur. Et des idées, comme une saveur seconde, poursuivent leur infiltration, leur maturation. Et si ce livre était un ouvrage sur l’identité, sa difficulté ? Comment définir un Saint-George ou un Robespierre ? Mais Gossec lui-même impose le questionnement. Il est né à Vergnies, dans le Hainaut belge actuel, mais ce village était alors une enclave française au cœur de la pré-Belgique, dans les Pays-Bas autrichiens. Il apprend son art à Anvers puis devient organiste à Bruges, mais il s’installe à Paris à dix-sept ans. Où il côtoie un autre phare musical du temps naturalisé par les Français : le Liégeois Grétry.
Amin Maalouf avait bien raison et Marc Gossé, au-delà d’une balade auprès d’un artiste et d’une ère, l’assène avec subtilité et malice dans son Gossec, Le maître des chœurs : toute identité est plurielle et notre appréhension doit être nécessairement inclusive.
Philippe Remy-Wilkin