Une agonistique amoureuse

Arnaud DELCORTE, Outrebleu, Unicité, 2024, 103 p., 14 €, ISBN : 978-2-37355-996-5

delcorte outrebleu« Parcourir Outrebleu, c’est être en présence des corps, le poète écrit avec le feu, les étoiles, mais à partir du corps et les cinq sens en éveil», écrit S.-W. Mounguengui dans la préface à ce recueil. Arnaud Delcorte (1970) est l’auteur d’une dizaine de livres de poésie et d’un roman. Il y a chez lui, depuis Écume noire jusqu’à Lente dérive de sa lumière et Outrebleu, ce que Jean Jauniaux qualifie être « un déplacement du regard, de la rêverie, de la pensée poétiques ».  Son poème est le véhicule d’une quête de soi et du sens : existentielle et érotique, elle est vécue dans la conscience d’un écart qui permet un  rapport à l’autre. Car «  […] le soi ne se perçoit jamais lui-même qu’en présence de l’autre, dans l’effusion et même la fusion avec l’autre. La présence de cet autre, ami ou amant, en tout cas aimé, qui n’apparait entre les signes que par l’une des parties de son corps […] ». Ce rapport existe aussi dans la collaboration  du poète avec l’art visuel, offrant à ses vers la résonance d’un visuel photographique (avec Brahim  Metiba, dans Méridiennes) ou pictural (avec Kéven Prévaris dans Tjukurrpa ou ici dans le dialogue avec ses propres créations abstraites orientées sur le corps-à-corps lyrique du noir et du bleu).

Cette première approche n’empêche pas celle d’une structure architecturale reposant sur la composition en sept mouvements : Le poète et son double ; D’ivresses ; De plumes ; De nuits ; …Et d’eaux ; Dans la ceinture abyssale de Neptune et un Envoi final. Le chiffre 7 détient une place spéciale dans le monde ésotérique. Souvent considéré comme le chiffre sacré de la spiritualité, le 7 a été vénéré dans diverses traditions, des sept chakras mentionnés dans l’hindouisme aux sept jours de la création évoqués dans la Bible. C’est un pont entre le ciel et la terre.  Au-delà du caractère d’incomplétude de la vie humaine ressenti par l’homme contemporain depuis la mort de Dieu (Nietzsche), le besoin d’une relation à plus grand que soi et la quête d’un sens n’ont pas disparu pour l’homme moderne avec le sentiment religieux ancien.

Dans Outrebleu, on lit aussi : ce qui va au-delà du bleu. Le bleu n’est pas une couleur anodine : généralement associée à l’apaisement et à la stabilité, la couleur bleue fait aussi référence à la confiance, à la loyauté, à la paix ou à la vérité ; elle est associée à la sérénité, à la sagesse et au rêve, au bien-être et à la spiritualité.  C’est aussi la couleur mariale ou encore celle du ciel. Mais le substantif bleu désigne aussi une ecchymose. Par ailleurs, la symbolique culturelle du bleu porte aussi sur la sexualisation de l’être : dans le domaine de l’habillement n’attribue-t-on pas traditionnellement du bleu pour les garçons et du rose pour les filles ? Outrebleu offre donc au lecteur une grande polysémie et se présente dès lors, non pas comme le poteau indicateur d’une voie unique ou sans issue, mais comme une incarnation sensible de l’écart et un carrefour offrant plusieurs directions possibles. De même que la construction du recueil Outrebleu obéit à une architecture symboliquement attachée au sacré, le livre lui-même « constitue l’épilogue d’une trilogie sur les climats et passages de la relation à l’aimé », dans un triptyque composé précédemment de Aimants + Rémanences et Lente dérive de sa lumière. Le chiffre « trois », référence notoire à la Trinité connue par la chrétienté,  est aussi présent dans d’autres divinités indo-européennes. Les triptyques sont caractéristiques de la peinture hollandaise et italienne de la Renaissance. Ce format trouve un de ses aboutissements les plus connus dans Le jardin des délices de Jérôme Bosch mais aussi en littérature avec La divine comédie de Dante. Le peintre Francis Bacon utilisera fréquemment la forme du triptyque dans son œuvre, où, après Soutine, il offre une vision démembrée et agonistique du corps humain. Dans la dramaturgie amoureuse des corps gays de Delcorte, nous lisons cette recherche de complétude et d’accomplissement qui cherche à transcender nos éparpillements et désigne, au-delà du veuvage des corps et de la transitoire érotique de leurs membres, cet au-delà matriciel des eaux et de l’union parfaite d’avant la blessure :

Oui les braises sont bien là
Qui brillent et vacillent au rythme des lunaisons
Dans l’orient lustral de tes iris
Augurent une palpitation voire un craquement d’être
Mon être
Avant que le vent emporte les grandes palmes
Offrant lit d’infortune à nos déluges

Éric Brogniet

Plus d’information

foire du livre 2024 visuel

Arnaud Delcorte sera présent à la Foire du livre.

  • Samedi 06 avril de 12h à 14h – Stand 228 : dédicaces
  • Dimanche 07 avril de 10h à 14h – Stand 228 : dédicaces