Archives par étiquette : Danie Laroche

Une amitié littéraire d’exception

Yves PEYRÉ, Henri Michaux. Dans la ferveur d’une complicité, Tandem, 2019, coll. « Alentours », 166 p., 14€, ISBN : 978-2-87349-136-9

couverture yves peyré henri michaux dans la ferveur d'une complicité Octobre 1984 : le corps d’Henri Michaux est mis en bière en présence d’une vingtaine de personnes, désignées avec soin de son vivant. Parmi elles Yves Peyré, bibliothécaire, poète, essayiste, proche de l’écrivain-artiste depuis 1978, année où il vient de lancer à Lyon une nouvelle et ambitieuse revue littéraire, L’Ire des Vents. Timidement consulté, Michaux lui a aussitôt accordé son intérêt et promis sans doute l’une ou l’autre contribution. Les deux hommes se rencontrent, sympathisent rapidement malgré la dissymétrie : Michaux a 79 ans, Peyré 26, le premier est un créateur célèbre et fort sollicité, l’autre un provincial encore peu connu. Mais de nombreux engouements littéraires, picturaux et philosophiques leur sont communs, sans compter une profonde complémentarité de caractères. « J’avais rencontré ce mythe inaccessible » écrit Peyré, évoquant « l’émulation qu’il voulait bien m’offrir ». Leur rapport était-il du type père-fils, ou plutôt de maitre à disciple ? L’auteur préfère les formules « grand frère » et « cadet », chacun trouvant dans leur complicité son intérêt propre : le premier, se perpétuer en transmettant un précieux héritage moral, le second, s’enrichir d’une expérience humaine et créatrice hors du commun, tous deux relançant la curiosité et la réflexion de l’autre. Ainsi ces six années sont-elles marquées par une intensité relationnelle rare, dont le livre de Peyré donne le récit à la fois émouvant et minutieux. Continuer la lecture

Le défi poétique de Roberto Juarroz

Jacques ANCET et Yves NAMUR, La pluie, Méridianes, coll. « Duo », 2019, 20 p., 12 €, ISBN : 978-2-917452-78-3

Dirigée par Pierre Emmanuel, la jeune collection « Duo » repose sur le principe du « dialogue » cher aux livres d’artiste, mais en associant deux poètes. Sollicité dans ce cadre, Jacques Ancet a aussitôt proposé à son vieil ami Yves Namur de collaborer, avec pour base commune ce vers de Roberto Juarroz – dont il avait traduit des entretiens et des poèmes en 2001-2002 – : La pluie tombe sur la pensée, extrait de Poésie verticale, vol. 4.  Ayant reçu le feu vert – l’intérêt de Namur pour Juarroz n’est pas un secret depuis Fragments de l’inachevée –, Ancet écrit alors treize textes de sept vers chacun et les envoie à son correspondant. Celui-ci prend le relai, en adoptant un mimétisme quasi parfait quant au style et à la versification : absence de titre, vers libre non rimé, exclusion du « je », emploi systématique du « on » et des tournures impersonnelles, récurrences lexicales (« main », « oiseau », « arbre », « yeux », « toit »…), insistance sur l’incertain et l’approximatif de la pensée. Le lecteur douterait-il, la dualité typographique romain/italique permet de distinguer à coup sûr les deux auteurs. Malgré la présentation généralement alternée des poèmes, il ne s’agit toutefois pas de répliques au sens strict, mais plutôt d’un jeu subtil de relances et d’échos où les septains de Namur tantôt enchainent sur ceux d’Ancet, tantôt les anticipent, les auteurs ayant réglé avec soin leur ordonnancement. Aussi le livret dégage-t-il une grande impression d’unité – l’influence du poème-archétype de Juarroz n’y étant certes pas étrangère. Continuer la lecture