Le Carnet et les Instants revisite l’année littéraire 2022 avec le Top 3 de ses chroniqueurs et chroniqueuses. La sélection d’Alain Delaunois. Continuer la lecture
Archives par étiquette : Henri Michaux
Henri Michaux. Des lances et non des formes
Henri MICHAUX, Saisir, Fata Morgana, 2020, 112 p., 21 €, ISBN : 978-2-37792-063-1
Connues pour leur très belle ligne éditoriale, pour l’élégante facture de leurs livres, pour leurs publications de nombreux ouvrages de Michaux, les éditions Fata Morgana, dirigées par Bruno Roy et David Massabuau, viennent de publier Saisir, un des recueils les plus saisissants d’Henri Michaux, rythmé par ses textes et ses dessins à l’encre. « Livre d’artiste » ou plutôt livre michaldien, Saisir (1979) renvoie au poème éponyme de Jules Supervielle, un ami de Michaux. L’ambition du livre est d’emblée posée : tenter de « saisir mieux, de saisir autrement, et les êtres et les choses, pas avec des mots, ni avec des phonèmes, ni des onomatopées, mais avec des signes graphiques ». Une nouvelle fois, le poète s’engage à frayer un abécédaire, un bestiaire émancipé du verbal, où l’encre de l’écrit et du dessin vise à retrouver la vitesse, le mouvement des choses. Dès l’enfance, il est en lutte avec un langage verbal imposé. Écrire et peindre seront perçus comme des exorcismes, comme des inventions de « signes pour retirer son être du piège de la langue des autres » (Un barbare en Asie). Très tôt, le projet de créer une langue qui lui soit propre le mobilise. Dans Mouvements, paru en 1952, il explorera un nouvel alphabet composé d’idéogrammes, de rythmes visuels. Continuer la lecture
Une amitié littéraire d’exception
Yves PEYRÉ, Henri Michaux. Dans la ferveur d’une complicité, Tandem, 2019, coll. « Alentours », 166 p., 14€, ISBN : 978-2-87349-136-9
Octobre 1984 : le corps d’Henri Michaux est mis en bière en présence d’une vingtaine de personnes, désignées avec soin de son vivant. Parmi elles Yves Peyré, bibliothécaire, poète, essayiste, proche de l’écrivain-artiste depuis 1978, année où il vient de lancer à Lyon une nouvelle et ambitieuse revue littéraire, L’Ire des Vents. Timidement consulté, Michaux lui a aussitôt accordé son intérêt et promis sans doute l’une ou l’autre contribution. Les deux hommes se rencontrent, sympathisent rapidement malgré la dissymétrie : Michaux a 79 ans, Peyré 26, le premier est un créateur célèbre et fort sollicité, l’autre un provincial encore peu connu. Mais de nombreux engouements littéraires, picturaux et philosophiques leur sont communs, sans compter une profonde complémentarité de caractères. « J’avais rencontré ce mythe inaccessible » écrit Peyré, évoquant « l’émulation qu’il voulait bien m’offrir ». Leur rapport était-il du type père-fils, ou plutôt de maitre à disciple ? L’auteur préfère les formules « grand frère » et « cadet », chacun trouvant dans leur complicité son intérêt propre : le premier, se perpétuer en transmettant un précieux héritage moral, le second, s’enrichir d’une expérience humaine et créatrice hors du commun, tous deux relançant la curiosité et la réflexion de l’autre. Ainsi ces six années sont-elles marquées par une intensité relationnelle rare, dont le livre de Peyré donne le récit à la fois émouvant et minutieux. Continuer la lecture
Dans nos archives : littérature et folie
Le 27 octobre 2019 marque le 550e anniversaire de la naissance de l’humaniste Erasme de Rotterdam (1469-1536). Commémoration du séjour anderlechtois de l’homme de Lettres, la maison Erasme est l’une des maisons d’écrivain à visiter en Belgique.
Lire aussi : Maisons d’écrivain : où en est la Belgique? (C.I. 203)
L’humaniste laisse une oeuvre d’ampleur, qui a durablement influencé l’Occident. On en retient aujourd’hui le plus souvent un ouvrage majeur : L’éloge de la folie. L’anniversaire d’Erasme est pour nous l’occasion de republier un article de Daniel Laroche paru dans Le Carnet et les Instants n° 158 (octobre-novembre 2009), évoquant les liens qui peuvent se nouer entre littérature et folie, et d’évoquer quelques exemples de « fous littéraires » belges. Continuer la lecture
Le Top 3 de Charline Lambert

La rétrospective de l’année littéraire belge avec le Top 3 des chroniqueurs. Aujourd’hui : le choix de Charline Lambert.
Lire aussi : la fiche de Charline Lambert
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Michaux, les portes de l’être
Un coup de cœur du Carnet
Henri MICHAUX, Coups d’arrêt suivi d’Ineffable vide, Éditions Unes, 2018, 33 p., 10 €, ISBN : 9782877041904
Tension de la pensée avec la réalité, expérience d’une perte d’être, d’une défaillance ontologique qu’Henri Michaux partage avec Artaud, inlassable exploration de l’« espace du dedans » composent la basse obstinée de l’univers poétique de l’auteur de Plume, Ecuador, Mes propriétés. Les éditions Unes publient un magnifique volume composé d’un texte de 1975, Coups d’arrêt (une version remaniée paraîtra dans Chemins cherchés, chemins perdus, transgressions) et d’Ineffable vide qui, retravaillé, figurera dans les addenda de Misérable miracle. Au nombre des voies permettant l’arpentage des territoires intérieurs, Michaux a élu l’évasion, les voyages en Asie, en Amérique du Sud, les voyages fictifs, les feux de l’imaginaire, la drogue par la suite. Continuer la lecture
Morts et vifs
Coup de coeur du Carnet
Jean-Luc OUTERS, Le dernier jour, avant-propos de JMG Le Clézio, Gallimard, 2017, 152 p., 14,50 €/ePub : 10,99 €, ISBN : 9782072732775
L’écriture et l’art en général ont au moins en commun avec la mort de comporter une part importante de mystère. Se fondant sur la connaissance intime qu’il en avait, complétée par les souvenirs des proches, Jean-Luc Outers a composé six tableaux relatant les derniers jours de six personnalités belges d’exception. Un défi singulier qu’il relève avec brio et finesse, s’inscrivant ainsi dans les traces de Mallarmé et de ses Tombeaux, comme le souligne JMG Le Clézio dans son avant-propos chaleureux. Continuer la lecture
Henri Michaux « en appel de visages »
Il flotte à la Bibliotheca Wittockiana une atmosphère envoûtante de sérénité. À la fois en retrait du monde et en son cœur même, ce musée unique, consacré à la reliure d’art, nous rappelle le respect dû à la seconde invention capitale de l’humanité, après la maîtrise du feu : le Livre. Continuer la lecture
Michaux, l’à distance
Un coup de cœur du Carnet
Henri MICHAUX, Donc c’est non, lettres réunies, présentées et annotées par Jean-Luc Outers, NRF, Gallimard, 200 p., 19,50 €/ePub : 13,99 €
Alors que d’aucuns devraient se faire inoculer quelque vaccin pour guérir de la rage d’apparaître qui semble les tenir, Henri Michaux incarne un contre-exemple absolu dans le refus de livrer son image, de laisser une trace autre qu’écrite, de brader sa présence au monde. Le barbare altier qu’il était partageait ainsi avec certaines peuplades fallacieusement taxées de « primitives » la conviction qu’être photographié revenait à se faire voler son âme ; et le seul film où on peut l’entrevoir, lors d’une conférence prononcée par Borges au Collège de France en 1983, montre un homme en passe de verser dans l’invisibilité, au regard dissimulé par d’épais verres fumés. Jamais d’interview, pas d’enregistrement. Pire : il était phobique du contact humain, en tout cas de celui que dictent les convenances sociales ou les ambitions littéraires. Alain Bosquet, dans La Mémoire et l’oubli, cernera très bien l’attitude de Michaux lorsqu’il se trouvait à proximité d’un congénère : « Je l’admire, de se montrer si hérissé, si hostile, si grinçant. Les vingt-cinq ou trente fois que je l’ai rencontré, j’ai surtout aimé le malaise superbement intelligent qui émanait de lui : aucune concession et aucune politesse extérieure. » Continuer la lecture
Exposition Henri Michaux
Vingt ans après la dernière grande exposition qui lui fut dédiée en Belgique, Henri Michaux est de retour, avec l’exposition que lui consacre la Bibliotheca Wittockiana, en partenariat avec le Centre Wallonie-Bruxelles à Paris.
L’exposition, intitulée « Face à Face », confronte l’œuvre littéraire et graphique de celui qui considère son œuvre écrite et peinte comme un immense autoportrait à celles de certains de ses illustres contemporains. Continuer la lecture
Mystique et athée
Un coup de coeur du Carnet
Jean Claude BOLOGNE, Une mystique sans Dieu, Paris, Albin Michel, 2015, 327 p., 20,90 €/ ePub : 14.99 € ISBN : 978-2226258519
Il y a quarante ans, Jean Claude Bologne a vécu durant quelques instants « une expérience fulgurante de l’absolu ». Quelques instants qui ont marqué et transformé toute sa vie. En 1995, il a consacré à cette expérience mystique, exempte de toute référence à Dieu, un premier essai qu’il considérait comme une délivrance, pensant n’avoir plus à revenir publiquement sur le sujet. N’empêche, alors que le temps a passé « sans rien changer à la brutalité de la mémoire », il s’est résolu, poussé par « les confidences que le livre a suscitées » et par « les réflexions qui l’ont prolongé » à témoigner « avec moins de lyrisme et de candeur » de « l’instant où le monde a basculé » et de la faculté de survivre « à l’immense désarroi de ne plus le connaître ». En précisant aussi que cet instant, « on ne peut que le vivre » sans qu’on puisse le provoquer ou le renouveler volontairement, sa marque étant du reste indélébile. Quant au caractère « ineffable » de l’événement, il implique, par définition, que son abord oblige à des détours par les approximations de ce qui peut être exprimé. Continuer la lecture