Éric-Emmanuel SCHMITT, La nuit de feu, Paris, Albin Michel, 2015, 188 p., 16 € / epub : 10.99 €
Alors âgé de vingt-huit ans, Éric-Emmanuel Schmitt vit, dans le sud algérien, ce que l’on appelle communément « l’expérience du désert ». Une expérience réputée changer, parfois durablement, le regard sur le monde et sur la vie. C’est peu dire dans le cas de Schmitt qui, parti foncièrement athée dans le Hoggar, en est revenu croyant convaincu. (Sans toutefois – Dieu merci ? – chercher à affubler d’une identité particulière la force divine qu’il dit l’avoir emporté et marqué à jamais de son empreinte). C’est cette « nuit de feu » qui lui a inspiré le titre de son livre, en référence à l’illumination vécue par Pascal et à ces mots brûlants inscrits dans la doublure de veste du « Monsieur de Port-Royal ». Mais pourquoi Éric-Emmanuel Schmitt, auteur de quantité d’ouvrages, a-t-il attendu vingt-cinq ans avant de se décider à rendre publique cette expérience d’une nature par ailleurs profondément intime et, comme il le suggère, proche de l’indicible ? Il s’en explique en évoquant sa rencontre avec une journaliste protestante très étonnée que l’auteur d’une œuvre souvent marquée par la tragédie humaine puisse manifester au quotidien une telle équanimité et un tel amour de la vie. D’où la réponse dans ce livre où le vécu singulier de l’homme éclaire aussi l’œuvre de l’écrivain. Mais que s’était-il passé il y a un quart de siècle ?
Parti dans le Sud algérien comme scénariste pour un film évoquant notamment Charles de Foucauld, Schmitt intègre un groupe d’une dizaine de personnes (notamment géologues ou amateurs éclairés) pour la traversée du Hoggar depuis Tamanrasset et l’ermitage de Foucauld. Ils sont accompagnés d’un responsable américain et surtout d’Abayghur, un Touareg ancré dans les traditions ancestrales et routier éprouvé de ce désert où il brillera par sa sagesse et par son efficacité. Lors d’une étape au pied du Tahat, le sommet du Sahara, quelques membres de l’équipe, dont Schmitt, partent en excursion sur les flancs de la montagne. Au retour, exalté par le spectacle, il prend les devants, s’égare et perd bientôt tout contact avec ses compagnons. Commence alors une errance d’une trentaine d’heures entamée sous l’étreinte de l’angoisse, mais aussi avec la ferme volonté de survivre. La nuit, alors qu’il est enfoui dans un « sarcophage de sable » face au ciel constellé, survient l’illumination. « Éblouissante ». « Fulgurante » … « J’épouse la lumière », « Je lévite, mais nulle part ; en quittant le temps, j’ai quitté l’espace ; et en route, j’ai égaré ma volonté puisqu’elle s’est abouchée avec celle d’un autre. J’abandonne tout, le désert, le monde, mon corps, moi. Je ne formerai bientôt plus qu’un avec la force ». Le jour suivant, le nouvel Éric-Emmanuel Schmitt est enfin rejoint par ceux qui le recherchaient depuis la veille avec Abayghur en tête. Si l’on évoque cette présence du Touareg, c’est parce que ce livre sur une illumination est aussi le témoignage d’une amitié fugitive, mais profonde et quasi télépathique entre deux hommes, l’occidental et le seigneur du désert, que tout sépare, mais qui se comprennent et se confient l’un à l’autre en atteignant l’intime à travers le barrage de leurs langues respectives.
Cela dit, Schmitt insiste fort sur le fait que la nuit du Hoggar – qui l’a « mis en joie pour l’existence entière » – ne lui a pas apporté une certitude sur l’existence de Dieu, mais qu’elle lui donne à croire en Lui, le laissant toujours agnostique, mais agnostique croyant : « Ce que je sais n’est pas ce que je crois. Et ce que je crois ne deviendra jamais ce que je sais ». Mais à propos de ce livre devenu nécessaire, il reste sans illusions : « Ce récit, s’il ébranle certains, ne convaincra personne…J’en suis conscient. J’en souffre…Combien de fois aurais-je voulu transmettre la confiance qui me brûle ? […] Hélas, je ne suis pas contagieux… » ou encore : « En rédigeant ces pages, j’ai tremblé, jubilé, haleté, retenu mon souffle, hurlé d’enthousiasme, perclus par tant d’émotions que ce livre m’envoya deux fois à l’hôpital… » Et ceci enfin, qui conclut l’ouvrage : «Inépuisable, cette nuit de feu continue à modeler mon corps, mon âme, ma vie, tel un alchimiste souverain qui n’abandonnera pas son œuvre. […] Une nuit sur terre m’a fait pressentir l’éternité. Tout commence.»
Ghislain COTTON
♦ Lire un extrait de La nuit de feu proposé par Librel.
♦ Eric-Emmanuel Schmitt évoque son livre au micro d’Edmond Morrel, pour espace-lives.be :
♦ Eric-Emmanuel Schmitt parle de La nuit de feu. Une interview proposée par les éditions Albin Michel