Un grand souffle sombre et cruel comme la vie, avec quelques éclaircies…

Emmanuelle PIROTTELoup et les hommes , Cherche midi, 2018, 608 p., 20 € / ePub : 13.99 €, ISBN : 9782749158112

Chère lectrice, cher lecteur,

Dès aujourd’hui, vous allez trouver dans la vitrine de votre librairie préférée le nouveau livre d’Emmanuelle Pirotte.  Autant vous prévenir tout de suite : ne perdez pas de temps pour aller l’acheter ou vous le faire offrir.

On ne peut pas dire qu’Emmanuelle Pirotte ne pratique pas l’art de se renouveler !  Après un titre en anglais – Today we live – et un suivant en latin – De Profundisvoici Loup et les hommes.

Après un petit retour en arrière au moment de la bataille des Ardennes pendant l’hiver 44-45, après un roman d’anticipation qui se passerait dans une cinquantaine d’années, voici un grand saut vers la seconde moitié du XVIIème siècle : la cour du roi de France, les salons des petits marquis, les châteaux froids et délabrés de la noblesse provinciale, la misère des manants, mais aussi la récente implantation des colons français dans les vastes territoires canadiens de l’estuaire du Saint-Laurent jusqu’à la région des Grands Lacs, les débuts des guerres entre les Français, les Anglais, les Hollandais, les Algonquins, les Iroquois, les Hurons…, tout cela brassé dans une grande histoire de famille, de trahison entre frères, de désir de vengeance ou de retrouvailles,  d’un passé trouble qui resurgit, de destinées peu communes.

L’auteure entraîne tout son monde tambour battant, avec ce qu’il faut de mise en place, de surprises, de signes de pistes qui permettront au lecteur d’en savoir juste un peu plus que les personnages sur les intentions des uns et des autres, de quoi pimenter la lecture et créer le suspense sur les étapes d’une intrigue de révélation et de reconnaissances savamment construite.

On suit donc, avec curiosité et impatience, le destin de Loup, enfant trouvé, devenu héritier d’une famille aristocratique, guerrier ayant les faveurs du roi de France, tombé ensuite en disgrâce et…. (je ne peux pas le dire puisque c’est à vous de le lire).

Mais on suit, avec autant de curiosité, le destin de son jeune frère Armand, vilain, petit, ni fort ni courageux, tellement jaloux de son grand « frère », qui a toutes les qualités dont lui-même est dépourvu, qui attire la lumière, les regards et l’amour de tous ceux qui l’approchent.  D’ailleurs, si le titre met Loup en avant, les situations initiales et (quasi) finales bouclent sur les personnages d’Armand et de Brune, une mystérieuse jeune femme à la beauté exotique, l’œil bleu et le saphir assorti (vous verrez cela en temps utile).

Si le roman d’Emmanuelle Pirotte n’était qu’une grande fresque romanesque pleine de rebondissements, ce serait déjà très très bien.  Mais justement, il n’est pas que cela.  Le roman explore les liens de la fraternité, tissés de jalousie, de ressentiment, de rancune… qu’on comprend mieux quand l’autre personnage raconte les mêmes événements (mais c’est fait de manière très naturelle, narrative et non démonstrative ou didactique comme dans trop de mauvais romans).

Les personnages secondaires, Valère, le valet d’Armand, et Antoinette, enfant abandonnée (elle aussi, tiens) qui est envoyée comme beaucoup d’autres en Nouvelle-France pour n’y être qu’un ventre reproducteur de petits colons français, vont connaître une vraie destinée et devenir autre chose que des utilités narratives.

La vie des tribus indiennes est également très bien traitée, décrite comme une vraie civilisation (qu’elle était), sans complaisance ni mièvrerie (sauf peut-être quand Valère pense y trouver l’accomplissement du « bon sauvage » cher à Rousseau) mais avec profondeur et intelligence.  Le lecteur actuel peut être particulièrement sensible à cette philosophie spiritualiste, qui se manifeste dans l’alliance de l’humain avec la terre qui le nourrit, maintenant que l’humanité est en train de faire exploser tous les compteurs de la surproduction et de la surexploitation des ressources naturelles encore disponibles.

Bref, dans ce grand roman d’aventure, on avale tout : l’appât, l’hameçon, la ligne… et les 600 pages de récit.

L’histoire se termine trop bien ?  C’est une toute petite consolation bonne à prendre quand on pense au sens tragique de l’histoire de la civilisation amérindienne dont on pressent déjà le déclin et dont on connaît la disparition, dans un déluge de massacres et de sang versé.

Alors, ne boudons pas ce petit plaisir romanesque… et bonne lecture !

Marguerite Roman