Tenaces amitiés d’enfance au pays des mille collines

Monique BERNIER, Les hibiscus sont toujours en fleurs, MEO, 2020, 192 p., 17 € / ePub : 10.99 €, ISBN : 978-2-8070-0236-4

Le génocide rwandais restera un fait majeur de la fin du 20e siècle. L’ampleur du nombre de victimes en regard de la population, la rapidité méthodique des massacres et l’absence d’intervention de la communauté internationale ont donné à ce drame une dimension tragique qui ne cesse d’interpeller. De nombreux écrivains ont puisé leur inspiration dans ces faits, qu’ils les aient vécus ou non en tant que Rwandais. Si le sujet est loin d’avoir été épuisé, plus le temps passe, plus il impose d’apporter une contribution originale, d’autant que Monique Bernier a déjà abordé cette thématique dans La honte (Les Éperonniers, 1999), Le silence des collines (Les Éperonniers, 2001), ou encore La magie du frangipanier, roman paru en 2016 aux éditions Academia.


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Ici, tout débute dans un aéroport alors que Charlotte s’apprête à prendre l’avion pour le Rwanda. Fille de diplomate, elle a vécu son enfance dans ce pays avant de le quitter brusquement au moment du génocide et elle y revient pour apporter des réponses aux questions qu’elle se pose depuis lors. Arrachée à un pays qu’elle aimait, elle est sans nouvelles de sa nourrice et surtout du fils de celle-ci, Daniel, qui était son compagnon de jeux. Comment comprendre que ses parents se soient enfuis sans porter secours à ceux qui vivaient à leurs côtés ? Ce voyage, elle l’entreprend à l’insu de ses parents qui la somment d’oublier cette page d’enfance et l’ont jusqu’ici dissuadée de renouer tout contact. Ce départ vers l’inconnu prend dès lors aussi les allures d’une reconquête de soi après qu’elle a été larguée par un compagnon possessif qui l’avait isolée du monde.

Très vite, ce récit est bousculé par un autre, centré lui sur la situation de Daniel, son ami d’alors, qui purge sa peine dans une prison réservée aux génocidaires. Dans les chapitres qui suivent, Monique Bernier entremêle les deux points de vue. En ce lieu qui concentre les assassins réunis par les mêmes faits pour de lourdes peines, l’homme se débat avec le souvenir des horreurs qu’il a perpétrées et dont la vision vient hanter ses nuits. Contraint de se joindre aux meurtriers sous la menace de représailles directes imposées aux siens, il a commis les pires atrocités sous la conduite d’un oncle qui croupit dans la même prison que lui.

À sa descente d’avion, Charlotte est submergée par les odeurs qu’elle retrouve, mais assez vite désorientée car les repères du passé ont disparu. Des rencontres humaines généreuses vont lui permettre de prendre pied et de mener ses recherches. Renvoyée d’un contact à l’autre, elle sillonne le pays mais perçoit peu à peu que les personnes rencontrées peinent à évoquer le passé et à lui fournir les informations attendues. Ce n’est qu’au prix de démarches multiples qu’elle apprend ce qu’il est advenu des personnes qu’elle aimait et qu’elle souhaite revoir. Sa nounou est morte lors du génocide et Daniel est incarcéré pour y avoir participé activement. Décidée à aller jusqu’au bout, elle fait la demande pour lui rendre visite en prison, espérant retrouver quelques bribes d’une amitié perdue. Mais reste-t-il une possibilité de rassembler deux êtres que tout sépare désormais ?

Tendu tout au long par la recherche de la jeune femme, bousculé en permanence par le récit de Daniel, Les hibiscus sont toujours en fleurs aborde le génocide rwandais avec grande finesse. Malgré tout ce qui les distingue, Charlotte en Daniel ont en commun le souci de revenir sur leurs actes et de refuser les pressions qui les ont conduits à renoncer à ce qui leur était cher, à abandonner les leurs. Cette vision très systémique du drame, qui ne retire rien à la responsabilité des personnes, permet de dépasser les clivages et, singulièrement, de remettre en cause les simplismes qui accompagnent tous les génocides.

Thierry Detienne