Bonjour Lahaut

Jules PIRLOT, Julien Lahaut vivant, Cerisier, 2020, 200 p., 14€, ISBN : 978-2872672233

pirlot julien lahaut vivantIl serait malaisé de donner tort à Jules Pirlot quand, en incipit de son essai, il affirme : « Julien Lahaut est surtout connu par sa mort ». Sans doute faudrait-il ajouter « et par le mystère qui l’a longtemps entourée ». Sur ce point, l’étude Qui a tué Julien Lahaut ? publiée par la CEGESOMA en 2015 offrait des éclairages définitifs. Cela ne constitue pas pour autant une raison suffisante pour archiver définitivement le dossier – ce qui reviendrait à enterrer une deuxième fois son sujet.

Le travail de Jules Pirlot – initialement publié en 2010 mais qui reparaît aujourd’hui nourri des derniers apports de la recherche – n’éclaire pas le Julien Lahaut tel qu’il est statufié au cimetière des Biens Communaux de Seraing ; les monuments de métal sonnent souvent creux, et celui-là n’échappe pas à la règle. Non, l’entreprise menée prétend nous rendre en moins de deux cents pages la présence de Lahaut visible, audible, sensible, vivante.

D’emblée, Pirlot le rappelle : Lahaut fut un homme de parole davantage que d’écrit, d’action et pas de théorie. Le combat social, il l’a mené comme Fabrice Del Dongo éprouva la cohue Waterloo : à hauteur et mesure d’homme(s). Comment « faire d’autre », comme on dirait en région liégeoise, quand on naît dans l’industrieuse et industrielle banlieue de Wallonie, au mitan des années 1880, alors que le POB et la revendication du suffrage universel sont en gestation, et que les ouvriers commencent à prendre conscience de leur importance, pas uniquement en termes de masse, mais de collectivité humaine ? Idéologiquement, les parents de Julien composent un binôme détonant, mais au fond tellement représentatif d’une époque où le buste de Lénine de papa jouxte la pieuse représentation de Sainte-Thérèse de Lisieux posée par maman. Le gamin ne les décevra ni l’un ni l’autre.

Simple travailleur aux usines Cockerill, Lahaut se signale tôt par son tempérament rassembleur. Il monte sur la table et, de revendications et grèves, son verbe vise ses camarades au cœur. Durant la Première Guerre mondiale, il est versé dans le corps des autos blindés. Sur le front russe, il côtoiera les futurs poète et champion de lutte Marcel Thiry et Henri Herd dit « Constant le marin ». Il revient de cette équipée convaincu du bien-fondé des idées révolutionnaires internationalistes – et Pirlot d’insister sur ce nouvel aspect nébuleux de la vie de Lahaut : on ignore tout des motifs de sa conversion…

L’ouvrage suit, de façon linéaire mais jamais plane, le parcours de ce rude gaillard, de la militance au PC jusqu’aux travées d’où il ne proférera pas « Vive la République », en passant par les réunions de tovaritchs à Moscou, les affrontements à coup de badine avec ceux de la Légion nationale du Liégeois Hoornaert, l’horreur de Mauthausen. La riche iconographie émaillant le volume renvoie l’image d’un homme simple mais toujours élégant dans sa mise (en ce temps-là, on savait manifester avec un nœud papillon au col), chaleureux sans démagogie, ardent à la tribune et presque effacé sur les photos de groupe, les yeux portés vers un espoir qui s’abattra sur le pas de sa porte, dans une mare de sang, quelque soir d’août 1950.

En fin de volume, le lecteur aura le plaisir de redécouvrir la bd due au dessinateur André Jacquemotte, héritier de Masereel, et scénarisée par Ita Gassel, telle qu’elle parut en feuilleton dans Jeune Belgique de janvier à mars 1951. Qui sait ? Les quelques bambins alignés près du cercueil au jour de l’hommage que lui rendit Seraing la Rouge la lurent peut-être à l’époque et ils réapprirent à serrer les poings comme Noss’Julien

Frédéric Saenen