Sous le voile les cheveux fauves

Un coup de cœur du Carnet

Pascale TOUSSAINT, Une sœur, ONLIT, 2021, 144 p., 16 €, ISBN : 978-2-87560-139-1

toussaint une soeurAutrice belge née à Bruxelles, Pascale Toussaint habite à la luzerne, cette maison où vécut l’écrivain surréaliste belge Louis Scutenaire qui lui inspira son premier roman en 2013 J’habite la maison de Louis Scutenaire. C’est là, à Schaerbeek, qu’elle accueille avec son mari, l’écrivain Jacques Richard, les Rendez-vous de la Luzerne, rencontres fameuses autour de figures essentielles de la littérature et du livre belges.

2021 est une année féconde pour l’autrice qui publie son premier recueil de poésie Des lilas des orages (mars) ainsi que son sixième roman Une sœur (mai).

2021 qui signe aussi la fin de sa carrière d’enseignante (fin juin).

Puisse cette vacance lui permettre de poursuivre son travail d’exploration de la langue, à aiguiser son style, tailler et retailler ses phrases courtes, elle pour qui « l’écriture a beaucoup d’importance ».

Dans Une sœur, Pascale Toussaint déroule son récit en vingt brefs chapitres durant lesquels Claire, la narratrice, cherche à comprendre, à la mort de sa tante Agnès, pourquoi celle-ci décida à 20 ans d’entrer au couvent. Agnès qui aimait la belle lingerie et le chocolat. Agnès qui coiffait de son peigne de corne ses longs cheveux fauves, dont personne ne soupçonnait l’existence, bien cachés sous le voile amidonné. « Que lui servait d’être séduisante ? »

« Pourquoi est-elle devenue religieuse ? », se demande Claire alors qu’on termine de mettre le cercueil en terre. Et cette idée, qui ne cesse de la hanter, que sa tante est passée à côté de sa vie de femme :

– Je ne suis pas déprimée, je suis révoltée. Elle a gâché sa vie.
– Gâché sa vie ? Comment peux-tu croire ça ?
– On dit même qu’elle en serait devenue folle (…)
– Justement ! Je l’ai connue jeune et belle. C’est ça qui est révoltant. Qu’une bécassine prenne le voile, je m’en fous. 

Cette incompréhension lance claire dans une sorte d’enquête. De femmes en femmes (à l’hôpital, au couvent, auprès de sa cousine Juliette, puis de sa mère), elle cherche à connaitre sa tante, à comprendre sa motivation à « s’enfermer » pour consacrer sa vie à Dieu. C’est finalement l’histoire de sa famille que Claire découvrira, et le sort peu enviable des quatre sœurs de son père, filles et femmes aux destins mis entre parenthèses (c’est peu de le dire).

Pourquoi est-elle devenue religieuse ? C’est par cette question que l’autrice interroge le devenir femme. Mais aussi les rôles que l’on nous assigne parfois, au sein de nos familles, selon que l’on est aînée ou cadette. Les rôles qui sont fonction, aussi – souvent – des injonctions d’un milieu, quand ce n’est pas de la société tout entière. À travers Claire, l’autrice sonde les non-dits qui, au fil du temps, se transforment en tabous. Et à refermer le livre on ne peut s’empêcher de se demander comment, s’ils n’avaient été tus, ils auraient permis à ces quatre-là un autre genre de vie.

Ce récit se lit d’une traite et fait l’effet d’une lame – juste assez effilée pour entailler profond –  et d’une main qui laisserait son geste en suspens dans l’espoir que… Et comme remonterait à la surface l’enfoui, la main appuierait à peine plus. Et la peau se mettrait à saigner.

Cette main, cette lame, ce sont les phrases de Pascale Toussaint. Concises. Comme autant de constats mis bout à bout et qui construisent l’histoire par touches. Ces phrases calées sur le rythme de Claire, de ses questions/rencontres/conversations pour (enfin) donner à voir la trame d’un récit familial fort. Celui d’Une sœur.

Amélie Dewez