Pour en commencer avec le devenir…

Laurent DE SUTTER, Pour en finir avec soi-même (Propositions, 1), Presses universitaires de France, coll. « Perspectives critiques », 2021, 214 p., 16 € / ePub : 12.99 €, ISBN : 9782130827009

de sutter pour en finir avec soi-mêmeCe n’est peut-être pas tout le monde pareil, ou peut-être que si, mais nous avons souvent l’impression de vivre arrimés, assujettis, immobilisés, assignés à une identité. Obligés d’être soi. Impression ? Réalité ? Que faire ? Pour dépasser cet état, détecter, affronter les éventuelles chaînes, camisoles, injonctions, certain·e·s pensent que la force est en eux, dans les ouvrages de développement personnel ; d’autres, plus sagement et plus aventureusement, préfèrent se plonger dans des œuvres émancipatrices, comme celle de Laurent de Sutter, par exemple.

Chacun de ses livres est un travail de détection des intimations ; un chantier, un sentier de libération. Pas une autoroute éclairée, mais un parcours électrique composé de branchements, de pistes alternatives, des dos d’ânes et en perpétuel mouvement. Avec son titre alléchant, programmatique, Pour en finir avec soi-même pourrait sembler un boulevard dégagé. Mais dès la dédicace, on se rend compte que ce ne sera pas aussi simple, le livre étant dédié « À moi-même ». N’en aurait-on jamais terminé avec soi-même ou ne faudrait-il jamais en finir ? Et déjà, pour commencer, qu’est-ce que le soi-même (la personne, le moi, le sujet…) ?

Avec de belles audaces (comme celle de montrer que le « Tu es cela » de Lacan est une traduction du sanscrit et que son œuvre est influencée par la pensée orientale) et 60 courts chapitres, Laurent de Sutter retrace l’histoire du « soi », ce qui reste une des meilleures façons de montrer que les choses n’ont pas toujours été ce qu’elles sont, et qu’elles ne cessent de se transformer… Il rappelle que chez les Grecs, les Romains, les premiers chrétiens, le soi ne voulait rien dire et même, qu’aucun mot n’était là pour le dire. L’idée que les Grecs se faisaient d’un individu humain était inscrite dans l’imaginaire du théâtre, les Romains dans celui de droit. Il faut attendre le tournant du 17e siècle pour que John Locke substantive le « soi » (the self), Blaise Pascal le « moi » et René Descartes le « je ». On entre alors dans un monde nouveau où on se préoccupe du « soi » pour lui-même. Il devient (notre) propriété.

Liée à cette naissance, la police de l’être peut se mettre en place et déployer foule de formes et de moyens : la maîtrise de soi, la mise en ordre, l’asservissement au travail, le placement sous contrôle des affects, etc., et pire encore : le fameux développement personnel, où tout serait simple, facile à dire, à comprendre et à faire. Tout cela pour mieux travailler, acheter, aimer, se reproduire comme la société (capitaliste) l’exige. Au bout de ce court livre bondissant parmi les âges, les cultures (grecque, latine, chrétienne, musulmane, philosophique, politique, juridique…), évidemment on ne détient pas la solution, on ne s’est pas dissout, mais on perçoit que l’on pourrait éviter d’être assigné à ce « soi » policé et se mettre en mouvement pour entrer dans l’inconnu du devenir…

Michel Zumkir

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