Maeterlinck : « N’oublions pas que nous sommes faits de la même substance que les étoiles »

Ainsi parlait Maeterlinck, Dits et maximes choisis et présentés par Yves NAMUR, Arfuyen, 2021, 176 p., 14 €, ISBN : 9782845903159

namur ainsi parlait maeterlinckDans la collection « Ainsi parlait » d’Arfuyen, après des volumes consacrés à Etty Hillesum, Pascal, Proust, Valéry…, le poète, écrivain, secrétaire perpétuel de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique Yves Namur consacre un volume à Maurice Maeterlinck. Le choix de 447 maximes, la puissante présentation « Maeterlinck et ses miroirs » offrent une traversée sous l’angle de la complexité de l’œuvre du seul auteur belge couronné par le Prix Nobel de littérature (1911). Le mystère, l’insondable, le silence que Maeterlinck (1862-1949) interroge dans son œuvre aux multiples facettes (poésie, théâtre, essais, ouvrages d’entomologiste) forment la source de son écriture et de son être-au-monde.

Salué par Rilke, Breton, Gracq, reconnu par Musil, Pessoa, Mirbeau, l’auteur des pièces de théâtre de tonalité symboliste et intimiste La princesse Maleine, Pelléas et Mélisande, L’oiseau bleu, du recueil poétique Serres chaudes, du livret d’opéra Ariane et Barbe-Bleue, de nombreux essais (essai mystique, Le trésor des humbles, essais sur le monde végétal et animal, L’intelligence des fleurs, La vie des abeilles, La vie des fourmis, La vie des termites) renouvelle, à partir des paradoxes qui le portent, l’espace dramaturgique, le champ de la pensée. Il s’engage sur bien des fronts de la création : dans une poésie intérieure, proche de Mallarmé, dans des méditations sur la destinée de l’homme, sur la foi, « les abîmes de l’âme », dans un théâtre questionnant les figures de la fatalité, l’alliance entre le verbe et l’infra-dire. Frayant une voie pionnière, il délivre des études sur les structures sociales des insectes, rétablissant les ponts entre l’humain et la biosphère que la métaphysique occidentale a sectionnés.

Nourri par la mystique rhénane, les traditions ésotériques de l’Orient, le romantisme allemand, cet écrivain flamand écrivant en français, ce « gentleman farmer, dormeur debout et cosmonaute » (Cocteau), qui défendait les humbles et habitait des palais a ouvert la voie à une esthétique novatrice. À l’instar de l’homme Maeterlinck, son œuvre est agitée de contrastes, de strates hétérogènes qui manifestent la nécessité d’embrasser une palette de chemins créateurs afin de s’approcher du « sentiment d’infini ». Michel Brix a établi combien la filiation Novalis/Maeterlinck passe par la quête d’une fleur bleue métaphysique, par la mise en chantier d’une pensée où se rejoignent spiritualité, philosophie de la nature et science du vivant. Le cœur de son entreprise est un vitalisme comme en témoigne le titre (La vie de la nature) qu’il a donné à son cycle d’ouvrages sur la vie des insectes et des fleurs. Dans ce monisme, l’humain n’est séparé ni de Dieu — quelle que soit la forme qu’il prenne — ni des créatures à plumes, à poils ou des fleurs, des forêts. L’animiste transparaît sous le botaniste ; de l’homme à l’abeille ou à la fleur, un même principe de continuité, un même lien organique court. Les hommes-fleurs nous disent que, loin d’être l’étalon de toute chose, « l’homme n’est qu’une bulle de néant qui se croît la mesure de l’univers ». L’intelligence, le langage ne sont pas le propre de l’homo sapiens mais distribués dans la cathédrale du vivant.

Le registre réflexif n’est rien sans l’aiguillon de l’imaginaire et du rêve qui permet de fréquenter la seule région que Maeterlinck aura arpentée, celle de l’Inconnaissable. Un Inconnaissable en soi et non relatif à nous, connecté à l’invisible et à la mort autour de laquelle ses mots volent. Le féerique oiseau bleu que seuls perçoivent ceux et celles qui s’ouvrent à d’autres niveaux de réalité, qui décèlent un autre monde derrière le nôtre, se présente comme un autoportrait de l’auteur qui, au travers des allégories, des forêts de symboles, creuse le langage jusqu’à sa confrontation-dilution dans l’innommable. Cet explorateur de l’attente, de drames intimes, ce tailleur d’images, délaissant le naturalisme, la psychologie et l’action dramaturgique, ce sourcier qui cherchait à suggérer l’irreprésentable plutôt que de s’enfermer dans le credo de la représentation ne pouvait qu’ébranler Julien Gracq ou Pessoa. Son œuvre est l’hommage des mots au silence, des conquêtes du connu au « Grand Inconnu », du feu mortel au feu éternel.

Véronique Bergen