De petits arrangements avec la vérité

Un coup de cœur du Carnet

Armel JOB, Un père à soi, Robert Laffont, 2022, 306 p., 20 € / ePub : 13,99 €, ISBN : 978-2-22125-958-0

job un pere a soiÀ 45 ans, Alban Jessel est bien installé dans sa vie professionnelle et familiale.  Avec sa femme Lydie (« C’est une femme très intelligente, je n’arrive pas à sa cheville », dit-il), il a créé une entreprise qui ne connaît pas la crise et est père de deux grands enfants, Sarah et Alex.  

Tout va bien pour lui (ce qui ne fait ni une histoire ni un roman) jusqu’à ce coup de téléphone mystérieux, d’une Virginie Lambert qu’il ne connaît pas, chargée de lui délivrer un message post mortem de la part d’une Michelle Nihoul, …qu’il ne connaît pas non plus.

Et quand sa femme lui demande : « Un client ? » – « … Oui.  Enfin, peut-être.  Quelqu’un qui se renseigne », le personnage d’Alban décrypte lui-même le début d’une complication : « Pourquoi je lui avais menti, comme ça, d’un coup, je n’aurais pu le préciser.  Un pressentiment sur cette intrusion mystérieuse ? Qui sait ? Une précaution, en tout cas. Cette histoire, à l’évidence, ne concernait que moi. »  C’est dire si le « mensonge », qui est davantage une réponse élusive, commence en mode mineur.  Par ailleurs, bien sûr, cette affaire ne va pas ne concerner que lui…

Et à partir de là, de demi-vérités en demi-mensonges, du retour de souvenirs refoulés en interprétations abusives ou trop rapides (« Elle pourrait être ma fille »), Armel Job, au sommet de son art, emberlificote ses personnages dans leurs contradictions, par un jeu passionnant de non-dits et de révélations retardées.

Le fil du récit est confié alternativement à Alban et à Virginie et ce procédé narratif met le lecteur en position intéressante.  Au départ, on est embarqué dans des récits auxquels on n’a pas de raison de ne pas croire.  Et puis, petit à petit, à partir d’indices minuscules, des réflexions croisées, les fausses vérités et les vrais mensonges viennent au jour.  Certains personnages mentent à d’autres et le lecteur le sait… mais pas toujours.  Certains personnages se mentent à eux-mêmes ou se trompent de bonne foi, parfois même se trompent sur eux-mêmes, et le lecteur le sait… mais pas toujours, et en tout cas pas tout de suite.  Et nous voilà brimbalés dans un maelstrom émotionnel car bien sûr, le récit de chaque personnage nous attache à lui puisque nous entrons dans son point de vue mais, d’un coup,  au détour d’une phrase, chacun révèle sa lâcheté ou son cynisme.

Dans cette histoire, Il n’y a ni héros ni salaud, juste des hommes et des femmes pris dans le tourbillon de leurs propres émotions et qui essaient de ne pas s’y noyer. 

Le suspense est totalement haletant : qui est cette Michèle Nihoul ?  Et Ludovic ?  Un test ADN peut-il mentir ?  L’acmé de la vérité intime de Virginie va-t-elle trouver son destinataire ?  Et une réponse à la hauteur de l’enjeu ?  Et du coup, l’acte de lecture devient paradoxal entre l’envie de dévorer Un père à soi d’une seule traite, parce que l’histoire est passionnante … et de lire le livre le plus lentement possible pour que le plaisir de l’intrigue et de ses rebondissements dure longtemps. 

Ou alors, on lit vite et on relit lentement, manière de doubler le plaisir de ce grand cru dans la bibliographie d’Armel Job. 

Et finalement, si la vérité – ou une certaine vérité – était dans le titre ?

Marguerite Roman

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