Myriam LEROY, Belgiques. Out of office, Ker, coll. « Belgiques », 2022, 123 p., 12 €, ISBN : 978-2-87586-326-3
La collection « Belgiques » des éditions Ker continue d’ausculter, par la littérature et façon mosaïque, les imaginaires de la Belgique. Elle s’enrichit de quatre nouveaux volumes cet automne, parmi lesquels celui que signe Myriam Leroy.
Il y a (au moins) deux manières d’appréhender un recueil de la collection « Belgiques » : pour ce qu’il nous dit de la Belgique telle que la voit son autrice ou auteur, d’une part, et, d’autre part, pour ce qu’il fait au genre de la nouvelle.
Contrairement à la plupart des recueils de la collection, celui de Myriam Leroy s’attache très peu aux lieux. Schaerbeek est évoqué – et dézingué – dans L’ombre de la tour (« À gauche, un chancre, à droite, un hôtel de maitre. À gauche, des mollards plein le sol, à droite, de pittoresques pavés. Le quartier de Lydie, lui, était simplement moche »). Plusieurs autres nouvelles sont situées à Bruxelles, sans plus de précision, tandis que Mordre nous emmène dans une petite ville flamande indéterminée. Comme son titre le laisse présager, Rimini se déroule en Italie, la ville de Fellini étant un lieu de vacances prisé des Belges. Comme si ces histoires ne se passant nulle part en particulier pouvaient finalement se passer partout (en Belgique).
Du pays tel qu’il est aujourd’hui, de ses politiciens, de ses médias, Myriam Leroy dresse un portrait particulièrement sombre. La nouvelle qui ouvre le recueil, Vomir, donne le ton :
Tout ce que tu sais, c’est que tout ça n’est pas normal. Que tu es moche. Que tout est moche. Que tu as la nausée.
Dans le viseur de l’écrivaine : les soins de santé déglingués, l’affaire Dutroux et le climat de chasse aux pseudo-pédophiles qui en a découlé, le patriarcat, le cyberharcèlement, les politiciens, les boomers, les bourgeois (« je me demande souvent comment il est possible que notre bourgeoisie soit si provinciale, moche et démodée en Belgique […]. Chez nous, on a le goût des choses chères, mais pas encore celui des choses belles »)… On retrouve là plusieurs sujets chers à l’autrice des Yeux rouges. Mais c’est finalement la société belge dans son ensemble qui en prend pour son grade : « ce peuple un peu niais a besoin d’admirer ses élites ».
On se souvient que la nouvelliste a tenu pendant plusieurs mois une chronique sur Pure FM, « Myriam Leroy n’aime pas ». Un livre en a découlé, publié à La Renaissance du livre en 2013 sous le même titre. Lequel pourrait assurément être aussi celui de son Belgiques.
Dans ce tableau peint principalement au noir et au vitriol, affleurent pourtant des moments empreints de jubilation. Ainsi, les héroïnes des nouvelles Le communiqué de presse et L’ombre de la tour piègent leur supérieur hiérarchique respectif – l’un ministre, l’autre journaliste vedette – tous deux établis, respectés, qui se révèlent en réalité de parfaites illustrations d’un machisme ordinaire exacerbé par la conviction que leur fonction leur vaudra toujours l’impunité. Lorsque ces deux-là tombent dans le traquenard monté de toutes pièces par leurs jeunes collaboratrices, un sentiment de justice accomplie émerge, faisant fi des manières peu orthodoxes des protagonistes.
Le propos du Belgiques de Myriam Leroy est tout uniment dans la dénonciation d’une société que #metoo n’a pas soudain rendue plus hospitalière pour les femmes. La forme que prennent les nouvelles du recueil surprend au contraire par sa variété. Textes à la 1e, 2e ou 3e personne, brefs ou longs, monologues, récits, dialogues de théâtre : l’autrice s’accorde le plaisir d’explorer la plasticité du genre. On lui en sait gré.
Nausicaa Dewez