COLLECTIF, WWW, Ker, coll. « Double jeu », 2022, 208 p., 10 € / ePub : 5,99 €, ISBN : 9782875863324
Lien après lien, elle se tisse. Gigantesque, de ses fils invisibles, elle nous retient comme d’insignifiants insectes. Une fois pris, impossible de s’y soustraire, la moindre de nos vibrations émettant des multitudes de signaux qui se répercutent sans que nous en ayons le contrôle. Nous nous y empêtrons, assidus et inconscients : nous cliquons sur une publicité, payons notre électricité, stockons nos souvenirs, matons des séries, créons des avatars, commandons notre prochain salon, consultons nos bilans de santé, réservons une place de cinéma, introduisons nos données personnelles, écrivons aux amis de là-bas et aux connaissances d’ici, souscrivons des contrats, communiquons avec des inconnus, apprenons sur la reproduction des invertébrés, mutualisons les ressources, trollons des forums, animons des réunions, exposons notre vie. Lien après lien, nous la tissons. À la fois piège et dépendance, cette Toile.
Le recueil WWW s’ouvre sur un témoignage captivant d’un de ses créateurs. Avec Tim Berners-Lee, Robert Cailliau se trouve en effet à la base du développement du réseau. Dans son écrit, il retrace les étapes successives de la conception de cet outil initialement conçu pour faciliter les échanges dans le monde académique et s’interroge sur son évolution galopante dans la société contemporaine. Son constat se révèle aussi clair qu’alarmant : pour lui, « l’internet s’est généralisé avant qu’on ait l’occasion d’en établir les règles : c’est le trafic sans le Code de la route… » Il s’inquiète dès lors de son usage incontrôlé et « irrégulable », et de l’inadaptation de nos institutions devant un tel monstre informatif et communicationnel. Sans pour autant regretter son apparition car, pour le chercheur, Internet se décline dans le meilleur comme le pire.
Les onze nouvelles qui suivent cet état des lieux illustrent, à travers autant d’imaginaires, quelques conséquences, directes ou indirectes, de l’existence du Net. S’inscrivant dans un aujourd’hui ou un demain, elles touchent des sujets aussi actuels et délicats que le cloud, la 5G, les réseaux sociaux, les rencontres virtuelles, les robots connectés, la surveillance digitale, la communication à distance, le piratage et le sabotage, et plus que tout la place de l’humain dans cette dématérialisation généralisée, dans une progression très justement pensée. Barbara Abel, Nicolas Ancion, Frank Andriat, Vincent Engel, François Filleul, Kenan Görgün, Armel Job, Fanny Lalande, Katia Lanero Zamora, Olivier Paquet, Grégoire Polet, des autrices et auteurs qui comptent dans le paysage belge et qui fictionnalisent avec propos – et permettent par ce geste le recul et la réflexion des lecteurs adolescents et adultes – les problématiques nouées par le World Wide Web et que nous ne sommes pas (encore ?) près de dépasser…
Samia Hammami