Un coup de cœur du Carnet
Charline LAMBERT, Sous dialyses précédé de Chanvre et lierre, postface Véronique Bergen, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2023, 200 p., 10 €, ISBN : 978-2-87568-581-0
Sous une couverture flamboyante qui tient tant de la soupe primordiale que de la supernova, Espace Nord réédite les deux premiers recueils de la poétesse Charline Lambert. Sous dialyses et Chanvre et lierre, tous deux parus en 2016 (l’un aux éditions L’Âge d’homme, l’autre au Taillis Pré), se font écho dans cette belle édition assortie d’une postface virtuose signée Véronique Bergen.
Un désir grouille, venu de plus loin encore que l’œsophage, un désir plus rond que l’ombilic, plus brûlant que l’urètre. Un désir sonore en canal, qui élargit les digues des artères et érode l’épiderme. Deviendra un chant plus tard, s’il n’est pas du chanvre.
Entrer en poésie comme Charline Lambert, avec elle, c’est glisser dans une eau claire : le liquide ourle la peau comme les mots, détache nettement des contours qui, à l’air libre, semblaient flous et s’affirment alors avec intensité, détermination, pour se couler dans un monde auquel ils ont toujours appartenu. Entrer en poésie comme on comble un vide avec un plein – le plein des mondes palpitants qui fourmillent sous les vertèbres.
D’exfoliations en exfoliations, elle passe le doigt le long de sa moelle épinière et sent palpiter tous les mondes qui y fourmillent
Ce qui relie les deux recueils semble tenir avant tout dans le mouvement perpétuel qui anime, d’emblée, l’écriture de l’autrice. Aux origines se trouve une traversée : celle d’Ulysse, issue de l’un des murs porteurs sur lesquels s’est érigée la littérature occidentale, une traversée à laquelle répond la diffusion des fluides opérée dans le deuxième recueil. Au il (Ulysse) qui ouvre Chanvre et lierre répond le elle non identifié dont Sous dialyses détaille les mouvements intérieurs. De part et d’autre, il est question de franchir : les limites du moi, les frontières entre les matières et les règnes, les obstacles à la perception.
Tantôt terre, tantôt frontière, elle n’indique aucune position, aucune localisation géographique précise.
Elle fluctue, libère ses contours, trace des lignes de partage dans les sables mouvants.
Aucune propriété, sinon celle de tous les éléments chimiques dont elle réalise la synthèse.
Charline Lambert écrit une poésie du dedans et du dehors portée par des phrases rythmées de virgules, autant de vagues s’écrasant puissamment sur les rivages de la prose poétique pour y laisser, avec le reflux, un expir profond imprimé sur les sables. Une longue suite d’échos se poursuit entre les pages qui composent ces deux recueils, des échos ou des ondes, qui se propagent à travers les éléments : tant tactiles que sonores, les images qui émergent de ces textes ont des corps de chairs et de feuilles, d’assonances et de paronomases. Pour dire l’immense (la grande histoire, le désir) Charline Lambert en passe par l’immanent, le dénominateur commun qui réside dans le sensible. Elle collecte les facettes des grands récits en notant les micro-mouvements, les micro-gestes qui animent leurs différents protagonistes, les frémissements qui agitent les organes et traversent les membranes érigées entre l’intérieur et l’extérieur (la peau, les mots) pour s’insinuer au dehors – et retour.
Elle dévie ses axes, ses lignes de force, traverse des méridiens, fouille la terre à la recherche d’une équerre pour tracer ses angles morts.
Elle est le point commun de toutes ses divergences.
Elle rayonne, forcément.
Toujours, il s’agit de cartographier les flux et les fluides, de faire sens de ce mélange physico-chimique labile où tout est encore possible, en germe sous les mots ronds de la poétesse – ronds comme des vagues ou des épaules. Ce sont des histoires de sons et de désirs vibrants dans tout le corps, d’Ulysse aux tympans barricadés devenu corps-réceptacle des éclats lancés par les sirènes jusqu’à elle, qui « s’enveloppe dans l’étoffe des nébuleuses, traversée d’éclairs ». D’une beauté grave et percutante, cette première matière poétique se déroule à l’infini, rugissante de roulis et de murmures.
Louise Van Brabant
À la Foire du livre 2023
- Charline Lambert participera à la rencontre « Les nouvelles voix du poème », le vendredi 31 mars 2023 à 17h (Gare maritime, Scène Terremer). Cette rencontre rassemble trois lauréates du prix de la première oeuvre de la Fédération Wallonie-Bruxelles : Charline Lambert pour Chanvre et Lierre (2017), Maud Joiret pour Cobalt (2020), Anna Ayanoglou pour Le fil des traversées (2021). La rencontre sera suivie, à 18h, d’une séance de dédicaces sur le stand de la Fédération Wallonie-Bruxelles (n°245).
- La collection Espace Nord fête ses quarante ans à la Foire du livre, le 31 mars 2023 à 20h (Shed 2 – 248). Une table ronde réunira Isabelle Wéry (autrice), Frédéric Saenen (auteur) et Tanguy Habrand (directeur de la collection Espace Nord), pour évoquer la collection et lire des extraits d’œuvres qui les ont marqués. La rencontre sera suivie d’un blind test littéraire et d’un drink.