Un coup de cœur du Carnet
Paul COLIZE, Devant Dieu et les hommes, Hervé Chopin, 2023, 19,50 € / ePub : 12,99 €, ISBN : 9782357207264
« Ici, c’est comme tu attends la mort. La prison, elle te tue ».
Devant Dieu et les hommes, le nouveau roman de Paul Colize nous plonge dans un procès d’assises, tenu à Charleroi en 1958 et couvert, pour le compte du journal Le Soir par une jeune journaliste, Catherine Lézin, à qui Wellens, son rédacteur en chef, confie l’affaire pour lui ‘donner sa chance’.
Et ce sont ces deux fils – l’intrigue judiciaire et la place des femmes dans la société – que l’auteur va développer tout au long du récit.
Le cadre de l’action est à la fois familier et exotique : « Heureusement, [l’Atomium] n’a été conçu que pour durer six mois. Il sera démoli à la fin de l’Expo. Bon débarras. »
C’est l’époque où la camionnette du laitier cahote sur les pavés en faisant tinter ses bouteilles.
C’est aussi le temps des allumeurs de réverbères, faisant leur tournée la cigarette aux lèvres et l’échelle à l’épaule.
C’est l’époque où la presse est un monde d’hommes et où les rares femmes journalistes s’occupent du courrier du cœur ou de la mode – le fameux « sous-secrétariat d’Etat au tricot » selon de Gaulle dix ans plus tard! Et celles qui traitent d’autres sujets sont brocardées par leurs collègues… et chassées du théâtre des opérations par la force publique qui a la peu louable habitude de n’accréditer que les hommes pour travailler sur les sites. Mais c’est cette année-là aussi que Janine Lambotte a vu sa popularité monter en flèche à l’occasion de son émission quotidienne en direct sur l’exposition universelle.
Un procès d’assises, c’est à la fois un match de boxe où il faut savoir encaisser les coups et les rendre, et une partie d’échecs où il faut toujours anticiper les situations et les arguments. Ce cadre d’action permet à Paul Colize de mettre toute sa virtuosité en œuvre pour créer un rythme haletant dans le combat oratoire et procédurier qui oppose le procureur Armand d’Assognes et Gilbert Leroux, l’avocat de la défense.
L’affaire est simple – ou pas. Deux mineurs italiens, Ercoli et Renzini, sont accusés d’avoir, le 8 août 1956 lors de la grande catastrophe du Bois du Cazier, profité de la confusion générale pour tuer Gustave Fonck, leur porion (contremaître) avec qui ils avaient un contentieux. Pour le procureur, la cause est entendue : ils sont coupables ; mais le lecteur découvrira, le moment venu, comment l’enquête à été menée par le commissaire Guillemot. Pour à peu près tout le monde, d’ailleurs, la cause est entendue : c’est le temps des écriteaux « Interdit aux chiens et aux Italiens » ! Les coupables sont donc tout désignés.
Et pourtant, Catherine en est de plus en plus persuadée au fur et à mesure des débats, il y a « quelque chose qui cloche » dans l’accusation telle qu’elle est portée.
Dans cette salle de tribunal, le juge est un homme, les assesseurs sont des hommes, le procureur est un homme et l’avocat de votre mari aussi. (…) Les douze jurés sont des hommes, les spectateurs sont majoritairement des hommes et les témoins qui ont été entendus sont tous des hommes.
Dans ces conditions, comment une vérité de femme peut-elle se faire entendre ?
Et c’est précisément la position de fragilité de Katarzyna, due au double fait qu’elle est une femme dans un monde d’hommes et que sa famille a dû fuir la Pologne en toute urgence en juillet 1944 lors de la « libération » du pays par les Russes, qui va lui permettre de sentir les choses autrement, de faire apparaître les non-dits et d’explorer la piste qui mènera ailleurs qu’aux certitudes basées sur des préjugés. Les résurgences du passée douloureux de Catherine sont d’ailleurs distillées avec beaucoup de finesse – une ombre, un mot – et d’à-propos.
Catherine Lézin, en dépit de toutes les embûches qui lui feront souvent douter d’elle-même, de ses capacités et de sa légitimité dans sa manière de couvrir le procès, trouve néanmoins, dans son vécu et dans sa souffrance, le ressort nécessaire pour continuer malgré tout, avec l’aide bienvenue de quelques-uns qui ne prennent pas les femmes pour des incapables ou des traînées.
Ce nouveau roman de Paul Colize se lit avec passion et beaucoup d’émotion aussi, à mesure qu’on découvre le vécu des gens ordinaires, pour lesquels la justice des procureurs ne se passionne pas.
À lire et à relire…
Marguerite Roman
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Un extrait de Devant Dieu et les hommes
Un extrait proposé par les éditions Hervé Chopin