Un coup de cœur du Carnet
Tuyêt-Nga NGUYEN, 927, Onlit, 2023, 300 p., 18,5 € / ePub : 9,49 €, ISBN : 978-2-87560-171-1
927, 3 chiffres en titre pour condenser tout un roman. 927, 3 chiffres auxquels on a tenté de réduire la vie et l’art d’un homme. 3 chiffres qui cachent toute l’émotion qui se dégage à la lecture des mémoires de cet homme, Lôc Vàng, chanteur de Nhac Vàng (Musique jaune, d’or), genre musical vietnamien qui n’est pas sans rappeler le boléro et parle d’amour, de cœurs brisés, de la condition humaine et qui fut interdit par le pouvoir communiste dans les années 60. 927 n’est pas le titre de ces mémoires mais celui du nouveau roman de Tuyêt-Nga Nguyên dont ils sont une part. Nous expliquons.
Un jour, Tuyêt-Nga Nguyên, la narratrice de 927, romancière qui parfois (toujours ?) se confond avec l’autrice de Soie et métal, reçoit un mail d’un ex-général bien connu de la diaspora vietnamienne. Il lui propose de traduire en français « un livre écrit par un compatriote vivant au pays et retiré de la vente par les autorités ». Après quelques réticences – un roman à terminer et d’autres à écrire, elle accepte. In fine, le livre qu’elle nous propose alterne les mémoires de Lôc Vàng et le récit de leur traduction-adaptation (échappées de l’écrivaine dans le quartier pour se libérer de tout ce qui se mêle dans sa tête, remontée des souvenirs de son pays natal et de son exil…). Ajoutons que tout cela se passe pendant la pandémie du Covid-19, de la Chose, comme elle dit, et que ce n’est pas sans l’affecter, évidemment.
Dans ses mémoires, Lôc Vàng, né en 1945, huitième enfant d’une fratrie de treize raconte comment sa passion pour le Nhac Vàng va déterminer sa destinée. Baigné de musique depuis son enfance à Hanoï, il développe « inconsciemment, progressivement » un amour éperdu pour ce genre musical qui mêle la civilisation orientale et occidentale. À neuf ans, il décide qu’après ses études, il lui consacrera tous ses jours. Il est loin d’imaginer, et il en restera souvent loin, que cette détermination lui fera subir plus de deux mille interrogatoires et condamner à dix ans d’emprisonnement et quatre années de perte de droit civiques lors d’un procès retentissant où « la justice n’avait pas sa place ». En prison, malgré les conditions dégradantes, la faim, la soif, la violence qui lui détruisent le corps et l’esprit, il résiste, il reste un homme et surtout, il continue d’adorer plus que tout le Nhac Vàng et l’autre grand amour de sa vie, celle qui deviendra son épouse, Mai. Qu’il a connue quand il avait vingt ans et elle, quelques années de moins. Qui l’a attendu indéfectiblement pendant sa détention, sans jamais pouvoir lui parler ni le visiter. Qui, après la prison, lui a réappris à vivre libre. Qui décède trop jeune, à cinquante-trois ans. Après sa mort, Lôc Vàng n’aimera pas d’autres femmes, continuera à lui parler, à chanter pour et par elle.
Au-delà des mémoires de Lôc Vàng, du récit leur traduction et du temps de la pandémie, des réflexions sur le cynisme du pouvoir vietnamien et parfois du nôtre, ce qui touche au cœur, c’est la façon (faussement) simple qu’à d’écrire de Tuyêt-Nga Nguyên, toujours au plus juste et au plus près des événements et des sentiments.
Michel Zumkir