La preuve vivante

Adeline DIEUDONNÉ, La vraie vie, L’Iconoclaste, 2018, 270 p., 17 € / ePub : 12.99 €, ISBN : 978-2-37880-023-9

« À la maison, il y avait quatre chambres. La mienne, celle de mon petit frère Gilles, celle de mes parents, et celle des cadavres. »
Papa tire du gros gibier, dès qu’il peut. Ici et jusqu’en Himalaya. Cette « chambre des cadavres« , c’est celle où il dispose ses trophées. Il y a des têtes de sanglier, d’antilopes, de zèbres, même un lion entier. Et une hyène dans un coin. Prédateur, papa l’est aussi envers maman, bien sûr, et maman esquive la violence conjugale en se faisant la plus transparente, la plus molle possible, encaissant juste les coups. La narratrice et son petit frère Gilles vivent une relation fusionnelle. À l’aube de la puberté, ils dorment encore ensemble, se partagent tous leurs secrets et réenchantent leur quotidien en jouant dans une casse de voitures. De retour de l’école, lorsque c’est la saison, ils achètent quotidiennement une glace au marchand ambulant – avec supplément chantilly pour elle. On ne peut pas dire que ce soit une vie rêvée, mais au moins rien ne viendra s’interposer entre Gilles et elle. Rien, jusqu’à l’accident.
Cette histoire de révolte, de résilience, de rage à vivre la vraie vie, Adeline Dieudonné nous la sert dans un registre narratif pur, extrêmement visuel et sensible, d’une clarté et d’une efficacité absolue, soutenue par des métaphores cinglantes. Stephen King, dans son essai Écritures, disait que la véritable télépathie résidait dans l’écrit – dans la transmission de pensée entre l’auteur et le lecteur. Adeline Dieudonné a parfaitement compris cela, et elle réussit, à chaque rebondissement, à faire vibrer aussi bien l’intellect, que le cœur, et jusqu’aux tripes.

En 2017, Adeline Dieudonné vient chercher, en toute simplicité et en vélo, son prix au grand concours de nouvelles de la Fédération Wallonie-Bruxelles, sur le thème « Pousse-Café ». Le premier prix, en fait, à l’unanimité du jury, pour Amarula. Quasiment sans débat, c’était d’une évidence aveuglante. Peu de temps après, elle place une autre nouvelle, Seule dans le noir, aux éditions Lamiroy (collection « Opuscule »). Mise en scène par Gaëtan Bayot, elle monte également sur les planches pour un seul en scène, Bonobo Moussaka, monologue touchant dans lequel elle démontre, encore une fois, ses talents de narratrice. Quant à son manuscrit, ce roman qu’elle disait terminer, il est arrivé par la poste, aux éditions L’Iconoclaste – et a été accepté dans un délai qui frise l’indécence, mais qui prouve que la Fédération Wallonie-Bruxelles n’a pas été la seule à déceler en elle un futur, un grand talent.

Alors qu’il ne sort qu’aujourd’hui, La vraie vie a déjà reçu le prix première plume et est en lice pour quatre autres prix littéraires. Il sera disponible en livre audio, traduit en italien, vraisemblablement aussi en anglais, et est précédé par une rumeur critique  élogieuse. Et méritée.

Pascal Blondiau