Archives par étiquette : Haïti

Un jour de vents propices

Arnaud DELCORTE, Trouble, Unicité, 2021, 14 €, 86 p., ISBN : 978-2-37355-628-5

delcorte troubleLa poésie demande à être apprivoisée par le lecteur. Parfois, elle exige plusieurs lectures successives afin d’en retirer, comme aux passages des couleurs sur une pierre lithographique, des émotions, des lumières, des sentiments différents. Ils composent au terme de ces parcours, une sensation d’ensemble qui s’élabore dans l’esprit et le cœur. C’est à ce processus d’imprégnation par strates qu’invite le recueil d’Arnaud Delcorte. Une telle démarche se justifie d’autant plus que le livre puise à différentes sources. Il réunit des textes publiés initialement dans des revues. Ainsi « Chechnya » (Bleu d’Encre, 2020), « L’homme qui marche » (Do Kre I S, Vagues littéraires, 2017), et « Dans la clameur » (Legs, 2019). Ces textes alternent avec des compositions inédites, « Prières dans la nuit », « Soft Requiem », « La couronne », « Appel d’air », et « Memoriam Mediterranea ». Les illustrations de l’auteur, déclinaisons photographiques en noir et blanc – transformations fluides d’images qui en deviennent abstraites, dont l’une orne la couverture – rythment la découverte du recueil. Continuer la lecture

Jean d’Amérique : pulvériser par la lumière

Un coup de cœur du Carnet

Jean D’AMÉRIQUE, Soleil à coudre, Actes Sud, 2021, 134 p., 15 € / ePub : 10.99 €, ISBN : 978-2-330-14889-8

jean d'amerique soleil a coudre« Des lueurs corrosives emprisonnent les bords de ma vie, me rongent jusque dans les profondeurs. Peau livrée au chant des épines, je suis comme enfouie dans un immense labyrinthe et ne sais d’où viendra enfin une brèche pour m’esquisser un horizon. »

Motus et bouche cousue, Tête Fêlée est amoureuse de sa camarade de classe, Silence. Si pour Tête Fêlée et pour Silence cet amour est aussi secret qu’évident, le monde autour l’est beaucoup moins – et c’est avec lui qu’il s’agit de tenter d’en découdre. Le monde autour est peuplé de violence – Beretta dégainés dès la naissance, litres de rhum ou de bières enfilés à la chaîne pour supporter les coups du destin et les frappes de l’autre, liquidations permanentes des êtres et exploitation de la misère de toutes les possibles manières –, violence généralisée que figure, dans Soleil à coudre, le lieu d’un bidonville haïtien baptisé « Cité de Dieu ». Continuer la lecture

Poésie touffue de signes

Jean d’AMÉRIQUE, Atelier du silence, Cheyne, 2020, 17 €, ISBN : 978-2-84116-292-5

jean d'amerique atelier du silenceD’un instant tout possible remué, le poème gravit ses ruines et le ciel reprend besogne à héberger l’opaque. 

Hypallages, paronomases, synchises ou hyperboles : à l’œil du lecteur de poésie averti, les nombreuses figures de style qui habitent le recueil Atelier du silence de Jean d’Amérique n’échapperont pas. Le préfacier de cet ouvrage, Jacques Vandenschrick, recommande pourtant : « Que chacun entame, loin des pédanteries théoriques, sa lecture buissonnière, libre et empathique quels que soient les apparents cahots de la sente. » Qu’à cela ne tienne, arpentons donc l’atelier du silence du poète. Continuer la lecture

Au-delà de l’érotisme

Arnaud DELCORTE, Tjukurrpa, Peintures de Kevens Prevaris, Éranthis, 2019, 134 p., 20 €, ISBN : 978-2-87483-019-8

« Tjukurrpa » est un mot de la langue anangu, propre à un peuple aborigène d’Australie. Il signifie « le temps du rêve », cette ère mythique totalement éthérée qui a précédé la création de la Terre, mais continue de coexister discrètement avec le monde tangible. Utiliser comme titre d’un recueil poétique ce mot exotique – qui reviendra une seule fois, en fin de volume – n’est pas un geste superficiel. C’est suggérer d’emblée l’existence d’une « quatrième dimension », de nature à la fois cosmogonique et spirituelle, sans toutefois que l’auteur juge nécessaire d’en mener davantage l’exploration. Au fil des pages, il accorde en effet une plus grande place aux origines du bouddhisme, à travers le personnage de Shakyamuni, « fils aîné du soleil et havre de sagesse », également qualifié de « Tathâgata », et auquel succèdera un jour Maitreya ; un autre poème mentionne l’érudit-traducteur Kumârajîva, patriarche de l’école des Trois Traités, qui influença fortement le bouddhisme chinois… Troisième grande référence spirituelle d’Arnaud Delcorte : l’épopée de Gilgamesh dans la Mésopotamie antique, où apparaissent son ami Enkidu, Soumouqân, dieu des troupeaux et des bêtes sauvages, mais aussi la déesse Arourou, génitrice de Gilgamesh. Continuer la lecture