Marc PIRLET, Un jour comme un oiseau, Esneux, Murmure des soirs, 2016, 139 p., 10€ ISBN : 978-2-930657-33-2
Par l’intermédiaire d’un ami, Marc Pirlet rencontre pour la première fois en avril 2013 Bruna, une vieille dame qui habite sur les hauteurs de Seraing. Celle-ci vient souvent l’après-midi en ville, à Liège, prendre un chocolat chaud dans un endroit accueillant sa solitude. Pourquoi va-t-il la rencontrer, bientôt régulièrement ? Parce que cette dame menue, charmante d’ailleurs, a une histoire qu’elle a longtemps tenue sous silence mais qui maintenant, alors qu’elle a atteint quatre-vingt-six ans, doit se confier. C’est avec constance et ferveur que Marc Pirlet va l’écouter et recueillir des propos qu’il faut communiquer à tous. C’est en effet une confidence de l’enfer vécu que Bruna tient à faire avant de disparaître, pour que rien ne s’oublie, ne se perde de la mémoire. L’enfer, ce sont ces années passées dans les camps de concentration nazis, les camps de la mort. C’est en 1941 que Bruna, qui a 16 ans, et son frère sont arrêtés dans la maison familiale de Seraing par les agents de la Gestapo qui recherchent le père, communiste polonais, disparu depuis l’exode de mai 1940. Rapidement déportée en Allemagne et à travers plusieurs lieux de détention, elle arrive au sinistre camp de Ravensbrück où elle passera plusieurs années terribles avant de terminer dans cet autre enfer qu’était Bergen-Belsen, d’où elle sera libérée puis rapatriée vers la Belgique en état d’extrême faiblesse.
Cette tranche de vie et parfois de mort, nous en avons eu connaissance avec Histoire de Bruna (2014). Poursuivant d’une certaine façon dans la connaissance intime du mal, voici que Marc Pirlet y revient dans un nouveau livre, Un jour comme un oiseau. Il fallait à l’histoire de Bruna ajouter un post scriptum , « en forme d’éloge et de remerciement », comme l’indique la quatrième de couverture. Ceci sera donc tout autant et même davantage l’histoire d’une relation particulière qui s’est établie au cours de plus d’une année entre l’auteur et sa confidente. En fait, Marc Pirlet aurait voulu entendre, écouter longtemps encore cette voix de Bruna, disparue trop tôt selon lui, même si elle était âgée.
Alors qu’il s’était tenu loin de toute version romancée de l’histoire qu’il avait recueillie, qu’il s’était même abstenu de tout pathos lors de son premier ouvrage, veillant à retranscrire scrupuleusement les faits racontés tout en évoquant sobrement la narratrice, il lui faut aujourd’hui retracer les circonstances de la rencontre, développer certains points d’histoire qui ne l’avaient pas été dans la première version, en restituer l’archive et surtout laisser paraître une émotion jusque-là contenue. Une tristesse face à la disparition de Bruna, certes, mais aussi un afflux de sentiments parce que les souvenirs de cette rencontre et des récits recueillis restent poignants. Y prennent place aussi les commentaires personnels que ne s’était pas permis le confident mais qu’il s’autorise aujourd’hui. Sur l’authenticité des révélations, par exemple, alors qu’il fait état de ses consultations externes, de ses propres enquêtes sur place, d’autres témoignages qui viennent corroborer le premier, et même de recherches qui lui ont permis de compléter par des photos les dires de Bruna, encore de son vivant. Grâce à cet ultime hommage, il faut célébrer ce qu’il a défini enfin comme, profane ou sacré, «Le miracle des rencontres et de la transmission de mémoire qui permet de sauver de l’oubli des êtres qui étaient voués à disparaître sans laisser la moindre trace ».
Ce deuxième livre sur Bruna est aussi le lieu de dévoiler ce qui avait été écarté ou avait pu échapper lors de la première transcription. Comme l’enfance de cette petite Polonaise qui avait vécu dans son pays natal, puis en France, puis de nouveau en Pologne avant d’arriver en Belgique, alors qu’elle se remémorait à la veille de sa mort des détails de ses différents séjours, depuis le souvenir tragique d’une petite fille violée, découverte sur un terril, jusqu’aux étonnements de sa grand-mère qui arrivait de Pologne et confondait les bananes, qu’elle ne connaissait pas, avec de grands haricots. Une belle évocation de la mine aussi, si pareille dans le nord de la France et en Belgique, avec sa misère, ses corons, sa vie locale et, notamment, cette particularité de la communauté polonaise non intégrée au reste de la population ouvrière et immigrée.
Le trait fondamental de ce dernier livre de Marc Pirlet est, comme pour les précédents, la retenue, la pudeur qui n’en révèlent pas moins une acuité dans la perception des moindres indices de sens et d’émotion. De livre en livre se transmettent les vers d’Aragon qui proposent un titre. Et la certitude d’un talent non commun.
Jeannine Paque
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