Archives par étiquette : communisme

Les deux amours de Lôc Vàng, chanteur à la voix d’or et à la vie tragique

Un coup de cœur du Carnet

Tuyêt-Nga NGUYEN, 927, Onlit, 2023, 300 p., 18,5 € / ePub : 9,49 €, ISBN : 978-2-87560-171-1

nguyen 927927, 3 chiffres en titre pour condenser tout un roman. 927, 3 chiffres auxquels on a tenté de réduire la vie et l’art d’un homme. 3 chiffres qui cachent toute l’émotion qui se dégage à la lecture des mémoires de cet homme, Lôc Vàng, chanteur de Nhac Vàng (Musique jaune, d’or), genre musical vietnamien qui n’est pas sans rappeler le boléro et parle d’amour, de cœurs brisés, de la condition humaine et qui fut interdit par le pouvoir communiste dans les années 60. 927 n’est pas le titre de ces mémoires mais celui du nouveau roman de Tuyêt-Nga Nguyên dont ils sont une part. Nous expliquons. Continuer la lecture

L’amour-camaraderie

Christine DELMOTTE-WEBER, La cabane d’Alexandra Kollontaï, Oiseaux de nuit, coll. « Rideaux rouges », 2022, 112 p., 10 €, ISBN : 9782931101599

delmotte weber la cabane d'alexandra kollontaiAlix rencontre Julia, par l’intermédiaire d’une amie commune. Dès les premières secondes passées ensemble, elles tombent dans les bras l’une de l’autre. S’ensuit une relation. Julia est aussi en couple avec Samuel. Enfin, « en couple » n’est pas tout à fait le terme approprié. Samuel goûte aux joies du polyamour et n’a pas moins de quatre relations au même moment. Il encourage Julia dans cette voie, mais elle est plus réticente. Des pointes de jalousie surgissent, surtout quand Alix rencontre Samuel et que ces deux-là se plaisent à leur tour. Alix découvre ce nouveau mode de relations. Leur rencontre a lieu dans la cabane de Samuel, un lieu retiré où il désire vivre autrement. Son rêve serait de s’épanouir au sein d’un polycule, c’est-à-dire un groupe polyamoureux. Selon lui, le couple ne laisse pas de place à l’individualité. Sa référence dans le domaine est Alexandra Kollontaï, une communiste et militante féministe marxiste soviétique, qui a forgé une nouvelle conception du monde. Il a d’ailleurs donné son nom à sa cabane. Continuer la lecture

Je vous écris du Goulag

Jean-Louis ROUHART, Lettres du Goulag.  Correspondance de détenus dans les lieux d’incarcération et d’internement du Goulag, Territoires de la mémoire, 2020, 301 p., 27 €, ISBN : 978-2-930408-46-0

rouhart lettres du goulagAvec Lettres du Goulag, Jean-Louis Rouhart a fait paraître un ouvrage essentiel sur le monde du Goulag en Union soviétique.  Il y a quelques années, ce germaniste professeur émérite à la Haute École de la Ville de Liège avait réalisé une étude consacrée à la correspondance clandestine – déjà – dans les camps nazis, essai qui avait reçu le Prix de la Fondations Auschwitz – Jacques Rozenberg en 2011.  Il s’attaque maintenant à la même problématique dans le monde soviétique. Continuer la lecture

Simon Leys ou Pierre Ryckmans ?

Simon LEYS, La Chine, la mer, la littérature, Essais choisis par Jean-Luc Outers et Pierre Piret, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2018, 377 p., 9.50 €, ISBN :  978-2-87568-250-5

leys la chine la mer la litteratureL’érudition, la subtilité et la vivacité du sinologue Pierre Ryckmans font des textes réédités, préfacés et postfacés par Jean-Luc Outers et Pierre Piret sous le titre La Chine, la mer et la littérature une chance pour quiconque cherche à s’initier à l’immense civilisation chinoise. Ainsi, dès les premières pages, deux traits méconnus nous en sont livrés et surtout expliqués : la « monumentale absence du passé » qui se constate dans le peu de bâtiments anciens subsistants, d’une part, et, de l’autre, la calligraphie en tant qu’« art suprême aux yeux des Chinois ». Les deux correspondent à leur conviction que la pérennité spirituelle appartient à l’écrit transmissible et métamorphosable, jusqu’aux « faux » copiés au fil des siècles, bien plus qu’à la pierre aussi orgueilleuse que soumise aux ruines du temps. La récurrence des pratiques iconoclastes dans l’histoire de la Chine, y compris sous l’action des Gardes rouges dans les années soixante du XXe siècle, en reçoit un éclairage inattendu. De même, approchant « Poésie et peinture », Ryckmans met en exergue « les vertus du vide » qui s’échangent de l’une à l’autre, blanc, silence, non-dit, ellipse du verbe, absence du sujet, et qui répondent à l’idéal du qi (esprit, souffle, énergie…), « concept central de la théorie esthétique » pour manifester la « communion avec l’univers ». Exemple splendide, ces vers de Ma Zhiyuan : Continuer la lecture

Un dialogue posthume : Bruna et moi

Marc PIRLET, Un jour comme un oiseau, Esneux, Murmure des soirs, 2016, 139 p., 10€   ISBN : 978-2-930657-33-2

pirletPar l’intermédiaire d’un ami, Marc Pirlet rencontre pour la première fois en avril 2013 Bruna, une vieille dame qui habite sur les hauteurs de Seraing. Celle-ci vient souvent l’après-midi en ville, à Liège, prendre un chocolat chaud dans un endroit accueillant sa solitude. Pourquoi va-t-il la rencontrer, bientôt régulièrement ? Parce que cette dame menue, charmante d’ailleurs, a une histoire qu’elle a longtemps tenue sous silence mais qui maintenant, alors qu’elle a atteint quatre-vingt-six ans, doit se confier. C’est avec constance et ferveur que Marc Pirlet va l’écouter et recueillir des propos qu’il faut communiquer à tous. C’est en effet une confidence de l’enfer vécu que Bruna tient à faire avant de disparaître, pour que rien ne s’oublie, ne se perde de la mémoire. L’enfer, ce sont ces années passées dans les camps de concentration nazis, les camps de la mort. C’est en 1941 que Bruna, qui a 16 ans, et son frère sont arrêtés dans la maison familiale de Seraing par les agents de la Gestapo qui recherchent le père, communiste polonais, disparu depuis l’exode de mai 1940. Rapidement déportée en Allemagne et à travers plusieurs lieux de détention, elle arrive au sinistre camp de Ravensbrück où elle passera plusieurs années terribles avant de terminer dans cet autre enfer qu’était Bergen-Belsen, d’où elle sera libérée puis rapatriée vers la Belgique en état d’extrême faiblesse. Continuer la lecture

Philosophie, poésie et action politique

Éric CLÉMENS, De l’égalité à la liberté. En passant par le Revenu de Base Inconditionnel, Saint-Pierre, Le Corridor bleu, 2015, 140 p.

Le demi-siècle 1965-2015 fut marqué par une série de crises ou de mutations profondes, dont notre vision du monde occidentale ne pouvait sortir intacte : révélation accrue des crimes nazis et staliniens, conséquences de la décolonisation, contestation de mai 68 et maoïsme, chocs pétroliers, fin de l’U.R.S.S. et déclin du communisme, croissance des pays émergents, etc. Telles sont les turbulences historiques devant lesquelles Éric Clémens, philosophe de formation, a tenté de repenser les bases de la politique et de l’éthique – rappelons notamment son essai Le même entre démocratie et philosophie (Lebeer-Hossman, 1987) –, mais sans éluder la nécessité de l’action concrète, puisqu’il a notamment organisé ou participé à de nombreux débats publics et qu’il milite pour l’attribution à chaque citoyen d’un « revenu de base inconditionnel ». Le livre qui parait aujourd’hui rassemble des textes publiés tout au long de ces années, jalons d’une recherche exigeante et rigoureuse entre interrogation philosophique et écriture poétique ; son titre l’indique, égalité et liberté sont deux préoccupations – éminemment républicaines – qui dominent, ou plutôt arriment le questionnement auquel s’astreint l’auteur. Continuer la lecture

Les fins et le Moyen

Un coup de coeur du Carnet

Emmanuel GERARD, Widukind DE RIDDER, Françoise MULLER, Qui a tué Julien Lahaut ? Les ombres de la guerre froide en Belgique, Renaissance du Livre, 2015, 350 p., 24,90 €/ epub : 13,99 €

lahautLes meilleures enquêtes criminelles se lisent, paraît-il, comme des romans. Un macchab, un (ou des) tueur(s), un modus operandi, un mobile, des zones d’ombre, et voilà pour une intrigue qui devrait tenir le lecteur en haleine jusqu’au dénouement. Mais dans le cas présent, l’affaire se complique d’une toile de fond labyrinthique. Car le 18 août 1950, le cadavre qui gît dans une mare de sang, abattu dans l’entrée de sa maison sise sur les hauteurs de Seraing n’est autre que celui du charismatique leader communiste Julien Lahaut ; ses assassins sont sans doute des militants, mais n’appartiennent-ils pas à son propre bord politique ? L’action se déroule en quelques minutes à peine, avec la détermination caractéristique des commandos ; le mystère demeurera entier pendant des décennies. Continuer la lecture