De l’écrit à l’écran : littérature et cinéma, une relation kaléidoscopique

COLLECTIF, Littérature et cinéma, Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, 2023, 200 p., 18 €, ISBN : 978-2-803200-75-7

collectif littérature et cinemaDe Rimbaud à Duras, de Simenon à Bourdouxhe, de Steeman à Aymé, rares sont les écrivains qui n’ont pas entretenu un lien – étroit ou non – avec le cinéma. Entre adaptations, réécritures et translations, les relations de la littérature avec le septième art prennent des formes innombrables et variées. Elles ont donné lieu à des chefs-d’œuvre et à des échecs, démontrant parfois que le « passage sur un autre plan » provoque inévitablement « du gagné et du perdu », comme le signale François Emmanuel. « La littérature et le cinéma forment un couple, pour le meilleur… et parfois pour le pire » rappelle Yves Namur en guise de préambule au colloque sur la littérature et le cinéma qui s’est tenu en octobre 2022 à l’Académie royale de langue et littérature françaises de Belgique et dont les actes sont désormais publiés.

Citant de multiples exemples, du Le journal d’un curé de campagne, au Procès, en passant par Le mépris, Pierre Mertens décline les diverses relations résultant du passage d’une œuvre à l’autre. Il décrit ainsi le relais qui mène parfois aux « Belles infidèles », dont Mort à Venise semble être le parangon.

Loin de la question de l’adaptation, Sébastien Fevry remonte aux origines du cinéma pour relire les textes de Rimbaud à la lumière de la lanterne magique. Il retrace une « optico-biographie » du poète visant à replacer l’œuvre dans son contexte historique et « la sensibilité visuelle » qu’il implique.  

À celui de relais, François Emmanuel préfère le terme « translation » qu’il emprunte à la « langue d’Hollywood » et à Sofia Coppola. Partant de la transposition à l’écran (réussie, précise-t-il) de son livre La question humaine, il remarque que quelque chose se perd dans la translation, le passage du livre au film impliquant nécessairement un « déplacement de figure ».

Il est, entre autres, question d’adaptation dans le cinéma français d’après-guerre, présenté par Benoit Denis comme « refuge de la droite littéraire ». Montherlant, Morand et Drieu La Rochelle notamment, alors mis au ban par la Résistance, constituent une source d’inspiration majeure pour le cinéma de l’époque, qu’il soit populaire ou associé à la Nouvelle Vague. Communément opposés, Audiard et Truffaut puisent pourtant tous deux dans le discours de la droite littéraire. Ce ne sera qu’à la fin de la guerre d’Algérie, précise Benoit Denis, que le clivage gauche-droite entre ces deux courants cinématographiques se marquera.

C’est de « traduction » ou d’« interprétation » que Jean-Baptiste Baronian choisit de parler pour évoquer L’aîné de Ferchaux. Selon lui, la relecture du singulier roman de Simenon par Melville déterminerait la qualité du film plus que la fidélité à l’œuvre originale.

Préférant l’angle de la réécriture à celui de la relecture, Dick Tomasovic se concentre sur L’assassin habite au 21 de Steeman. Il constate le « double travail de déplacement » effectué par Clouzot : changement de lieu d’abord (de Londres à Paris), de focalisation ensuite (traduit par les mouvements de la caméra subjective).

Adaptations, relectures, réécritures et collaborations, les mots ne manquent pas pour décrire le cinéma de Marguerite Duras. Depuis la première adaptation d’Un barrage contre le Pacifique par René Clément jusqu’à ses propres réalisations (Le camion, India Song, L’homme Atlantique, etc.) en passant par sa collaboration avec Alain Resnais. Danielle Bajomée évoque un cinéma parfois expérimental et toujours attentif « aux silences, aux rythmes, aux pouvoirs de la voix ».

Invité à exprimer son point de vue en tant que réalisateur, Frédéric Fonteyne parle de son rapport au cinéma et à la littérature : « J’ai besoin de la littérature, j’en ai toujours eu besoin. La littérature est toujours un endroit où je retourne pour travailler… ». Il revient sur son adaptation de La femme de Gilles de Madeleine Bourdouxhe et remarque la différence irréductible « entre ce qui est dit et ce qui est montré ».

Éric Rohmer, dont les débuts de carrière furent consacrés à l’écriture, retient l’attention de Patrick Werly. Le genou de Claire occupe une place particulière dans sa très littéraire œuvre cinématographique, puisque s’y trouve développée une réflexion sur l’art du récit et « l’éthique de l’écrivain et de l’artiste. »

Enfin, Adolphe Nysenholc aborde le cinéma de « l’irreprésentable », qui correspondrait à la littérature de l’indicible. Il se concentre sur Nuit et brouillard, Holocaust, Shoah et La liste de Schindler, quatre œuvres cinématographiques très différentes dont les réalisateurs ont pour point commun d’être « aculés à la litote ».

L’histoire des liens entre littérature et cinéma remonte aux prémices du septième art. Cette première séance de l’Académie de langue et littérature françaises de Belgique consacrée au sujet nous rappelle qu’outre le fait qu’elle est néanmoins loin d’être terminée, elle constitue également un sujet de réflexion inépuisable et passionnant.

Laura Delaye

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