Comme un mouvement de balancier

Emmanuelle PIROTTE, Les reines, Cherche Midi, Coll. « Cobra », 2022, 528 p., 21 € / ePub : 14,99 €,ISBN : 978-2749174150

pirotte les reinesEmmanuelle Pirotte a publié son sixième roman, Les reines, le 25 août dernier. Après un détour chez Philippe Rey pour Rompre les digues, l’autrice revient au Cherche Midi, son éditeur depuis la parution de son premier roman Today we live, en 2015.

Les reines sort dans la collection « Cobra », née en 2021, et qui a pour ambition de renouer avec la promesse romanesque en défendant des romans de « pure imagination ». Cette collection entend s’inscrire dans la veine des vraies fictions, là où la « tendance actuelle » reste davantage orientée autofictions. Et Cobra de motiver son choix : « parce qu’au banal nous préférons le merveilleux, à la modestie la démesure ».

Et de démesure il est question dans le dernier roman d’Emmanuelle Pirotte, qui nous emmène dans un univers dystopique que l’on ne situe chronologiquement qu’en rupture avec ce qui lui a précédé. Un Vieux Monde mis en opposition au Monde Nouveau dans lequel l’intrigue se déroule. On ne sait presque rien de ce Vieux Monde, si ce n’est qu’il n’est plus, précipité dans une Chute dont on se dit qu’elle pourrait bien avoir un lien avec l’effondrement de notre société tel qu’on en entend parler. De plus en plus.

Du Monde Nouveau, en revanche, on comprend qu’il « appartient, par la grâce de la Terre sacrée, aux femmes. Il leur revient d’y faire régner leur volonté, d’établir une société qui les élève et relègue l’homme, par nature inférieur, au rang d’individu de second ordre ».

En effet, l’autrice imagine un monde où « la femme, méprisée, enchainée pendant des millénaires, [aurait pris] sa revanche, [aurait gagné] la souveraineté universelle qui lui revient ». Vous l’aurez compris, ce Monde Nouveau est régi par les femmes. Les Reines.

L’histoire s’ouvre d’ailleurs sur l’une d’entre elles, Alba.

Recluse sur une île battue par les vents, elle a renoncé à son Royaume pour devenir sybille, cette femme capable de connexions avec l’invisible. Au moment où le récit commence, elle a décidé d’écrire « pour expier », pour « affronter celle qu’[elle] fu[t] ».

Les chapitres consacrés à la confession d’Alba alternent avec des chapitres centrés sur Milo et Faith. Tous deux appartiennent à la tribu nomade des Britannia (le Monde Nouveau est très peu peuplé et nombreuses sont les tribus à avoir renoué avec un mode de vie nomade). Orpheline, Faith est arrivée bébé dans la tribu et tout de suite Milo s’en est occupé comme d’une sœur. Aujourd’hui, ces deux-là s’aiment et c’est là leur drame.

Les reines fonctionne comme une épopée tragique tout occupée de suivre la destinée de ces trois individus lâchés dans un monde éclopé où la nature se réaffirme, où le vivant cherche comment retrouver ses droits.

En plaçant femmes et hommes dans un ailleurs pas si lointain, Emmanuelle Pirotte sonde l’humain, son fonctionnement, sa faculté à faire le mal, à vouloir diriger, à s’aimer envers et contre tout, aussi.

La fiction est un outil puissant pour interroger notre place. Et quel meilleur endroit que le roman pour faire un pas de côté et se demander quel sens tout ça aurait ? Désagréable sensation que, peut-être, ce n’est jamais qu’un éternel retour, comme un mouvement de balancier où quelles que soient les idéologies, les dieux invoqués et combattus, quelque chose reviendra toujours. Sans que pour autant on ne puisse l’expliquer. Sans qu’il ne soit ni bon ni mal. Quelque chose avec lequel l’humanité continuera de « se perdre sur le chemin de ses devenirs ». 

                                                                                                                       Amélie Dewez

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