Fermeture pour inventaire

Un coup de cœur du Carnet

Une poésie de vingt ans. Anthologie de la poésie en Belgique francophone (2000-2020), choix de textes et introduction par Gérald PURNELLE, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2022, 440 p., 10 €, ISBN : 978-2-87568-557-5

une poesie de vingt ansLa collection Espace Nord publie en juin 2022 une anthologie consacrée à la poésie belge francophone parue entre 2000 et 2020. « Ni un bilan, ni un état des lieux en bonne et due forme », le volume héberge les textes de 128 auteurs et autrices sous le pavillon d’une poésie jeune, à l’échelle d’un siècle jeune et d’un jeune millénaire.

Un choix dans le choix

La vocation patrimoniale, et plus singulièrement la mission de valorisation des auteurs belges poursuivie par Espace Nord s’est toujours réalisée, plutôt que par la voie de l’exhaustivité, par celle du choix. Anthologique par nature, la collection publie elle-même des anthologies collectives, dont la dernière remonte pour la poésie à 2014 et était dirigée par Colette Nys-Mazure et Christian Libens. La responsabilité de ce choix dans le choix a été cette fois confiée au ministère de Gérald Purnelle, observateur inéluctable de la vie poétique, à qui l’on aura fait confiance pour risquer la hauteur de vue nécessaire face à un corpus aussi récent.

Le volume titre avec élégance Une poésie de vingt ans, suggérant à la fois l’envergure de la période poétique étudiée et l’idée d’une certaine unité, faisant en quelque sorte basculer l’addition dans la somme. Le croisement des bornes temporelles (2000-2020) et géographiques ou communautaires (la Belgique francophone) offre un paysage séduisant : restreint et vaste, actuel et profond. Le cap de l’an 2000 et l’aube du 21e siècle, dont deux décennies sont désormais jouées, constituent un repère symbolique motivant presque à lui seul un nécessaire coup d’œil dans le rétroviseur.

Que se passe-t-il, lorsque nous fermons cet ensemble pour en faire l’inventaire ? Gérald Purnelle s’en explique dans une préface salutaire, à la concision et l’amplitude de laquelle il serait oiseux de nous mesurer ici, sinon pour dire : lisez-la. De ces pages précieuses, retenons surtout une idée phare : le constat de la vivacité d’une poésie qui continue de se réinventer par de nombreux moyens et d’heureuse manière. Cette fécondité qu’il importe d’illustrer a guidé le choix « tout autant exploratoire que méthodique » de Gérald Purnelle, préférant au simple best of une perquisition rigoureuse dans chacun des foyers d’évolution de la poésie actuelle.

On ne cherchera donc pas tant à cadastrer les courants, les diverses conceptions et pratiques de la poésie, qu’à illustrer une tension, qui paraît, à travers les générations, s’être instaurée entre la perpétuation, voire la reproduction, de poétiques héritées et la constante dynamisation d’une recréation du genre.

[…] Nombreux sont les poètes de notre champ communautaire qui, loin de reproduire une conception simpliste et convenue de la poésie dans son acceptation la plus triviale et la plus éculée, adoptent cette position active de critique interne permanente et de re-création constante du genre. Ce sont précisément ceux-là que nous avons choisi pour notre anthologie.

L’illusion d’un lieu

Embrasser ensemble ces vingt années de poésie belge conduira le lecteur à un constat sans appel : c’est beau ! À la beauté des textes, dont chacun semble donner raison au mot d’anthologie, faut-il encore associer l’émotion suscitée par le florilège en lui-même. La synchronie et la géographie, arbitraires ou presque, qui y président, engendrent ensemble un hic et nunc émouvant, compagnonnage auquel le lecteur se trouve convié et que la diversité des manières contribue à faire émerger.

N’est-ce pas l’intention avouée d’un tel volume, qui publie sous un titre unificateur une bibliographie de tous les grands écarts ? La discrétion d’un Daniel de Bruycker ou d’un Serge Meurant y contraste avec la publicité d’Eugène Savitzkaya ou de Guy Goffette. Les promesses d’une Maud Joiret ou d’une Catherine Barsics font face à l’ombre consacrée de Liliane Wouters ou de Jacques Izoard. Les chants les plus intérieurs, chez Yves Namur ou Pierre Gilman, accompagnent les cris écrits de Lisette Lombé ou de Vincent Tholomé. Enfin, le jeu des générations veut que se croisent, à près de septante ans d’écart, Philippe Jones et Charline Lambert, Roger Foulon et Aurélien Dony.

Au seuil déjà vaste du 21e siècle, où « écrire ce qui s’appelle encore poésie est plus que jamais l’objet d’un choix », chacun des poètes sélectionnés par Gérald Purnelle semble avoir mérité la cure de jouvence offerte par Espace Nord à cette poésie « de vingt ans ». Si tous ici prolongent ou répondent à un 20e siècle fécond (qui vit de chacun et chacune la naissance biologique), aucun ne semble avoir oublié dans sa poésie les lois d’une évolution se jouant au contact du réel et de la littérature, et qui est le sens même de la contemporanéité.

Le réel me change, les mots me changent, tous deux ont un poids qui m’entraîne, avec lequel je suis aux prises. Je les subis et ils subissent l’ordre que je leur impose. C’est-à-dire, qu’ils restent intacts et que je m’y vois comme un centre dans l’illusion d’un lieu.
(Serge Núñez Tolin, L’Interminable Évidence de se taire, 2006)

L’illusion de ce lieu qu’est la Belgique francophone, qu’est la poésie prise pour véhicule de maintes voix, maintes langues et maintes modernités, semble ici tenir toutes ses promesses. Une poésie de vingt ans héberge un air du temps éclatant qu’il est heureux de voir ainsi fixé, et auquel chacun pourra s’offrir le plaisir, déjà nostalgique, de retourner.

Le lecteur qui ne s’effarouchera pas du ton quelque peu sépulcral de la couverture se laissera convaincre par une bibliographie subtile, quatre cents pages fines où la poésie règne sans partage, un format léger et de poche, au prix inoffensif de dix euros. Un beau signe qui consacre également le travail des éditeurs originaux, souvent belges, qui choisirent de publier les textes de cette anthologie. Cette Belgique, longtemps étiquetée terre de poètes, méritant aussi à bien des égards le titre de terre d’éditeurs.

Antoine Labye