Un coup de cœur du Carnet
Jean-Luc OUTERS, Mon nom ne vous dira rien, Impressions nouvelles, 2023, 208 p., 18 € / ePub : 9,99 €, ISBN : 978-2-39070-064-7
Journaliste sportif, Dominique se retrouve célibataire pour une semaine. Julie, son épouse, est en séjour professionnel en Afghanistan et, disposant de temps, il reprend contact avec Philippe, un ami de longue date qu’il n’a plus vu depuis une éternité. Ce dernier l’informe de l’état de son épouse, Elsa, qui a contracté une forme précoce de la maladie d’Alzheimer qui laisse son compagnon désemparé. Outre sa perte de mémoire des faits récents et son incapacité à reconnaître qui que ce soit, celle-ci prend régulièrement la poudre d’escampette, sillonne Bruxelles puis ne retrouve plus son chemin. Elle s’exprime le plus souvent dans son italien natal et lorsqu’elle est accostée par de personnes qui proposent de la reconduire chez elle, elle leur répond invariablement : « Mon nom ne vous dira rien ». Exténué, Philippe a fait la connaissance d’une jeune femme et il demande à son ami d’assurer une présence une nuit auprès d’Elsa.
À son contact, Dominique entre dans une autre dimension : celle de l’instant présent, de la convocation du passé lointain, des paroles énigmatiques et il se met à son écoute, à son rythme. Suite à un malaise, la malade est hospitalisée. Philippe ne donne pas signe de vie à sa sortie de l’établissement de soins, qui voit en Dominique un substitut bienvenu et consentant. Comme elle manifeste le désir répété de se rendre dans une gare, Dominique l’accompagne et, dans le même élan, il se retrouve à ses côtés dans un train de nuit pour Rome où il parvient à retrouver la sœur jumelle d’Elsa. Dans le même temps, son employeur lui demande de couvrir un match de football important qui se tient dans la ville éternelle, ce qu’il parvient à faire avant de revenir seul vers la Belgique. Peu avant, il aura fait un aller-retour vers Venise pour donner suite à un appel inquiétant de Philippe qui lui était parvenu, mais en vain …
Balayant une semaine de la vie de cet homme qui ne sait pas dire non, Mon nom ne vous dira rien nous livre une approche subtile et sensible de la compagnie d’une personne diminuée, renouant en cela avec une thématique développée dans La place du mort où Jean-Luc Outers évoquait l’aphasie de son propre père. Loin de jouer la carte dramatique ou de sombrer dans la sensiblerie, il s’accorde au pas d’Elsa tout en questionnant le rapport à la vie, à la mort, au temps qui passe, à la force des souvenirs. Car Dominique lui-même est père de Luca (un prénom aperçu dans Le voyage de Luca) et grand-père de Gaspard, un petit garçon plein d’esprit avec qui il redécouvre la vie en même temps qu’il mesure sa propre finitude et revisite volontiers son propre passé. Comme il décortique au passage la mécanique des couples et des relations amoureuses, dont celle, toute particulière et au parfum tenace, des premières amours. Fourmillant d’anecdotes et de rebondissements, le roman est aussi prétexte à nous rendre compte d’observations et de réflexions sur le monde qui nous entoure, sur ses absurdités et ses cocasseries.
Aujourd’hui, il n’est plus un objet proposé à la vente qui ne soit affublé de son mode d’emploi : appareils ménagers, luminaires, télévisions, jouets d’enfants… Rien ne nous est épargné sur leur assemblage, leur mise en route, leur entretien, les précautions à prendre, les dangers à éviter. Pourquoi n’en est-il pas ainsi des êtres humains qui, à la naissance, serreraient dans leurs poings minuscules le document d’usage que les parents s’empresseraient de déplier ? Que de désillusions, que de malentendus épargnés! Pour vivre, il n’y aurait qu’à suivre le mode d’emploi. J’imaginais que certains tiendraient en quelques lignes, d’autres en de véritables dossiers que l’on mettrait des jours à déchiffrer.
Nous retrouvons Jean-Luc Outers en pleine forme dans cette fiction qui combine si élégamment profondeur et légèreté, déployant un humour décalé et de bon aloi qui sauve du désastre et permet de tout dire sans lasser. Sans doute est-ce d’ailleurs tout cela qui, combiné à l’écriture fluide et soignée que nous lui connaissons, confirme le talent d’un auteur à l’univers singulier et pétillant qui enchante une fois de plus nos lettres comme il le fait depuis des décennies, pour notre plus grand bonheur.
Thierry Detienne
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Un extrait de Mon nom ne vous dira rien
Extrait proposé par Les impressions nouvelles