COLLECTIF, TXT fête Verheggen, Lurlure, 2024, 123 p., ISBN : 9791095997634
La revue TXT est une histoire de compagnonnage. Fondée à Rennes par Christian Prigent et Jean-Luc Steinmetz, TXT constitue sans nul doute une aventure singulière dans le paysage littéraire francophone. Dans le prolongement de Tel Quel fondée quelques années plus tôt par Sollers, TXT revendique son caractère d’avant-garde et un souci de réunir des individualités multiples. Impregnée malgré elle par les revendications politiques de l’époque, TXT va privilégier avant tout les innovations presque exclusivement dans le champ poétique. La patte de notre regretté poète « nobelge » Jean-Pierre Verheggen apparait dès le premier cahier paru à l’hiver 1969 aux côtés des fondateurs et d’un certain Allen Ginsberg. Continuer la lecture

Il n’est pas dans les habitudes du Carnet de recenser les traductions d’œuvres littéraires belges francophones vers d’autres langues. Une exception pourtant aujourd’hui tant l’entreprise qui voit le jour constitue une première, un défi relevé et entamé il y a trois ans par Christoph Bruneel, relieur de formation et animateur avec Anne Letoré des éditions L’Âne qui butine. Le pari ? Traduire intégralement en néerlandais un recueil de Jean-Pierre Verheggen, en l’occurrence Pubères, Putains, sans doute l’un des textes les plus connus, les plus aboutis du poète. Un pari assez fou en effet d’autant que Verheggen se plaît à rappeler avec humour que même en français il n’a jamais été adapté, empruntant en cela à Jules Renard sa formule ironique à l’encontre de l’auteur d’Un coup de dés jamais n’abolira le hasard, « Mallarmé, intraduisible même en français ! »
S’il ne les a pas déjà fêtés à l’heure de l’écriture de ces lignes, Jean-Pierre Verheggen approche des septante-sept ans. Selon ses dires, il ne pourra alors plus lire Tintin, mais sa verve ne s’est pas essoufflée, n’a pas « vieusi ». En témoigne l’entretien réalisé en octobre 2018 avec Éric Clémens, intitulé « Mauvaise fréquentation », qui ponctue cette réédition de Gisella (initialement paru en 2004 aux éditions Le Rocher) et de L’Idiot du vieil âge (publié en 2006 chez Gallimard) dans la collection « Espace Nord ».
Au moment où reparaît, dans la collection patrimoniale Espace Nord, Gisella, le texte sensible et poignant que le poète a consacré à son épouse décédée, les éditions de l’Arbre à paroles ont la bonne idée de rééditer le premier recueil de Jean-Pierre Verheggen, publié en 1968 chez Henry Fagne. Augmenté de fac-simile des courriers reçus à l’époque en provenance d’auteurs ayant, en quelques sorte, adoubé le jeune poète, cette nouvelle édition célèbre les cinquante ans de ce texte qui marque l’entrée en littérature de Verheggen dans la cour des grands. Les signatures prestigieuses sont éloquentes et ont, sans nul doute, encouragé le poète en herbe à poursuivre dans cette voie burlesque et baroque comme le souligne l’éditeur Henri Parisot. Une voie doublée d’une voix poétique inimitable ! La liste des écrivains qui remercient, de son envoi, le jeune récipiendaire est en effet impressionnante. De Norge à Koenig en passant par Scutenaire ou le plasticien dadaïste Raoul Hausmann, tous semblent avoir reconnu dans ce premier souffle, la vivacité d’une langue singulière et novatrice. En suivant le conseil que lui donna André Miguel, celui de faire parvenir le livre aux auteurs qu’il appréciait, Jean-Pierre Verheggen a marqué, à coup sûr, les esprits !
Jeunes gens, jeunes filles, prenons acte : TXT est de retour, vingt-cinq ans après son dernier numéro. Qui ça ? Quoi ça ? TXT pardi, la jubilatoire revue de Jean-Pierre Verheggen, Éric Clémens, Christian Prigent, Jacques Demarcq, Alain Frontier, Philippe Boutibonnes et Pierre Le Pillouër. Non que, par nostalgie, ces glorieux « anciens » auraient décidé, façon « boys band », de relancer l’affaire. Pas du tout le genre de la maison. L’édito est clair : de 1968 à 1993, TXT aura été une revue de conviction, la revue de ceux et celles qui avaient la « haine de la poésie » « lisse, empesée, impensée », la revue de ceux et celles qui ressentaient « un amour violent de la poésie, pour vider la poésie de la poésie qui bave de l’ego, naturalise et mysticise, rêve d’amour et d’union, dénie obscurités, obscénités, chaos et cruauté ». De 1968 à 1993, paraîtront alors trente-et-un numéros de « babils dramaturgiques », de « saynètes comiques », de « litanies idiotes », de textes travaillant les langues, les basses comme les altières, de textes ébouriffants, contredisant, violemment et salutairement, l’idée molle que l’on se faisait, que l’on se fait encore, de la poésie, du travail des langues, de la littérature.
Bon. Il suffit d’ouvrir la radio. D’écouter le journal. De lire un quotidien. Et cela nous tombe dessus : la rhétorique de l’époque, la rhétorique médiatique, est à la guerre. Avec son cortège de rodomontades. Et ses discours, a contrario, pacifistes et sirupeux. Comment l’ignorer ? C’est partout autour de nous. Partout. Comment lutter contre ? En tant que poète, je veux dire ? En tant qu’amoureux fou de la langue ? Comment ? En fourbissant ses armes de poète, pardi ! En fourbissant sa langue. Ses façons de faire bien à soi. Ses façons de faire incisives et bien pendues. N’hésitant pas à rentrer dans le lard franco. Ne tournant pas autour du pot. Jamais. Ses façons de dire qui moquent ou qui démontent, tournent en dérision tout esprit de sérieux – qui n’est, sans doute, tout au fond, qu’une façon de se poser là, qu’une façon d’occuper le terrain, de prendre le pouvoir.
Se présenter comme « critique littéraire » peut s’avérer une entreprise périlleuse. N’est-ce pas un rictus de défiance, voire de mépris, qui se dessine sur le visage de l’interlocuteur ? Quoi, « critique » ? Parasite, oui. Un bonhomme qui, incapable de torcher correctement un livre, épuise sa vie à passer au crible ceux des autres. Il les descend avec rancœur quand ils lui paraissent trop bons, ou les exhausse s’il est sûr qu’ils ne feront point trop d’ombre à son chef-d’œuvre en sempiternelle gestation. 