Tout au long du mois de décembre, les médias ont dressé le bilan de l’année littéraire 2022, dévoilant en particulier leurs listes des « meilleurs » livres des douze derniers mois. Un exercice auquel la rédaction du Carnet et les Instants a participé : nous vous avons proposé, du 8 au 31 décembre, les sélections de nos chroniqueurs et chroniqueuses. Nos regards se tournent à présent vers les choix des autres journaux et magazines – et plus précisément sur les auteurs et autrices belges francophones qu’ils ont retenus.
La presse belge
Dans son supplément « Arts » du 14 décembre, La Libre consacre une double page aux « meilleurs livres de 2022 » : 8 journalistes littéraires proposent chacun-e leur Top 10 de l’année, et retiennent quelques écrivain-e-s belges dans leurs sélections.
Laurence Bertels en retient trois, dans les domaines de la jeunesse et de la bande dessinée : La longue marche des dindes, album signé par Léonie Bischoff et adapté du roman de Kathleen Karr (Rue de Sèvres), Hekla et Laki de Marine Schneider (Albin Michel jeunesse) et Le monde de Sophie, adaptation par Vincent Zabus et Nicoby du roman de Jostein Gaarder (Albin Michel BD). Guy Duplat mentionne une seule autrice belge francophone parmi ses dix livres de l’année : Caroline Lamarche, pour La fin des abeilles (Gallimard). Jacques Franck met en avant le dernier prix Rossel, L’apocalypse heureuse de Stéphane Lambert (Arléa), ainsi que trois essais centrés sur l’histoire : Le cercle royal gaulois, artistique et littéraire de Michel Callier et Thierry Scaillet (Cercle royal), Adolphe Quetelet, passeur d’idées de Jean-Jacques Droesbeke (Académie royale de Belgique) et Erasme et son temps de Jean-Pierre Vanden Branden (Fonds Erasme). Un seul auteur belge figure dans la liste de Marie-Anne Georges : Bernard Quiriny, pour son Portrait du baron d’Handrax (Rivages). Christian Laporte classe deux livres parus chez Weyrich : Le siècle des coureurs. Histoire intime du cyclisme belge de François Brabant et Quentin Jardon et Sur les traces d’un pilote de Spitfire. Le destin de Peter de Philippe Erkes. Un troisième livre belge apparait dans la sélection du journaliste : Louis XIII. Genèse rocambolesque d’un roi de l’ombre de Jean-Pierre Rorive (Jourdan). Pour Francis Matthys, l’essai de Benoit Peeters Robbe-Grillet. L’aventure du nouveau roman (Flammarion) est l’un des 10 livres de l’année. Monique Verdussen, enfin, plébiscite Elle s’appelait Lucia, le premier roman de Pierre André (Grasset) et L’homme est bête et l’a toujours été de Roger Avermaete (Samsa).
Le 19 décembre, La Libre a publié un autre classement, établi par Hubert Leclercq, reprenant « nos 10 coups de coeur BD de 2022 », les choix étant dans ce cas assortis de commentaires. La liste reprend la réédition chez Glénat des entretiens de Franquin avec Numa Sadoul, Et Franquin créa la gaffe : « OK, ce n’est pas un album de BD, ce n’est même pas une nouveauté. Mais cette réédition, après plus de 30 ans d’absence de ce livre d’entretiens entre Franquin et Numa Sadoul, a sa place dans ce classement tant il nous permet de mieux cerner l’homme et son univers. Alors, évidemment, cette nouveauté pèche par l’absence de dessins du maître, par un manque de mise à jour mais cet ouvrage reste un incontournable. Franquin se confie à Sadoul avec une grande simplicité. Il aborde aussi bien les grandes questions existentielles que les petits détails perçus dans les dessins de ses confrères les plus lointains et underground« .
La rédaction littéraire du Soir s’est elle aussi prêtée au jeu de la rétrospective. Pas de sélection individuelle ici, mais « les 30 livres de 2022 à ne pas rater », désignés collectivement par 9 journalistes littéraires. Si on s’étonne de ne pas y retrouver le prix Rossel de cette année, la littérature belge francophone y est toutefois présente via la bande dessinée, et plus particulièrement Melvile, l’histoire de Ruth Jacob de Roman Renard (Le Lombard).
Focus, le supplément culturel du Vif-L’express a proposé son « best of 2022 » dans son édition du 22 décembre. Dans la catégorie « Livres », 5 journalistes dévoilent leur dix ouvrages préférés de l’année. 3 de ces critiques retiennent un livre d’auteur ou autrice belge : Anne-Lise Remacle classe La fin des abeilles de Caroline Lamarche (Gallimard) en 8e position, Fabrice Delmeire retient L’apparence du vivant de Charlotte Bourlard (Inculte) en 9e place et Olivier Van Vaerenbergh opte pour Le sang des bêtes de Thomas Gunzig (Au diable vauvert), en 8e place. Le même hebdomadaire propose un classement distinct pour la bande dessinée, pour lequel deux journalistes présentent leur sélection. Olivier Van Vaerenbergh retient Furieuse (Dargaud) de Geoffroy Monde et Mathieu Burniat (3e) et Merel (Dupuis) de Clara Lodewick (4e). Colin Bouchat classe en 4e position De Salamanque à Guantanamo, une histoire du droit international de Gérard Bedoret, Olivier Corten et Pierre Klein, un album paru aux éditions Futuropolis.
Weekend, autre supplément du Vif-L’express, propose lui aussi sa sélection des meilleurs livres de l’année. Pour ce faire, la rédaction a interrogé des libraires, qui présentent leurs choix dans trois catégories : tous genres confondus, bande dessinée et livres pour enfants. Dans la première liste, la librairie Les yeux gourmands à Saint-Gilles retient Les pissenlits de Nina Six (Sarbacane) : « un petit bijou, surtout pour son utilisation si singulière des couleurs qui changent fonction des scènes et de l’ambiance« . Pour la sélection dédiée à la bande dessinée, c’est à une autre librairie saint-gilloise, BD web, que le choix a été entièrement confié. Parmi les 17 albums mentionnés, on note la présence de Furieuse de Geoffroy Monde et Mathieu Burniat (Dargaud), une « relecture audacieuse et actuelle du mythe de la table ronde. Un road-movie médiéval dans lequel la fille d’Arthur vole la vedette à son illustre père » et Ils brûlent d’Aniss El Hamouri (6 pieds sous terre), car l’auteur « met son talent sans pareil pour nous faire ressentir chaque émotion, comme si on faisait partie de ce groupe meurtri mais soudé« . Enfin, la sélection de livres pour enfants a été confiée à trois librairies (Am-Stram-Gram et Quartier libre à Uccle, le Wolf à Bruxelles) et à l’illustratrice Marine Schneider. Il en ressort une sélection où… Marine Schneider est largement plébiscitée. Deux librairies retiennent en effet Hekla et Laki (Albin Michel), tandis que le Wolf mentionne Maman tambour, co-signé avec Pauline Delabroy-Allard (Thierry Magnier), « un regard sensuel sur le premier terrain de jeux des bébés ». Les librairies mettent aussi en exergue Pétille colère d’Amélie Carpentier (L’étagère du bas), « un album idéal pour ouvrir le dialogue entre petits et grands, à la maison où à l’école. Universel« , Petite et grande ourses de Bernadette Gervais (La partie), L’orchestre – Cherche et trouve autour du monde de Chloé Perarnau (L’agrume) et Poème sucré de mon enfance du trio Assam Mohammed, Elsa Valentin et Frédéric Hainaut (Éditions Le port a jauni).
Sous la plume de Sophie Creuz, L’Écho publie une « sélection de romans pour la fin de l’année« . Parmi ces « cinq romans qui ont marqué cette année 2022« , la journaliste cite Teo malgré de Stefan Liberski (Onlit) : « un objet littéraire impeccable: l’étrange monologue d’un fou d’intérieur« .
Le même journal prolonge cette liste par deux autres sélections, dédiées à la jeunesse et aux livres d’art. En jeunesse, deux livres sont retenus : Hekla et Laki de Marine Schneider (Albin Michel) – « Marine Schneider signe peut-être ici son livre le plus remarquable […]! Un récit poétique qui nous parle d’enfance, de transmission et des chemins que l’on emprunte pour grandir… » – et Les éblouis (Sarbacane) d’Aylin Manço, « Un roman sur l’amour, le désir et l’amitié dont on dévore chaque page tant le sens de la narration et les dialogues d’Aylin Manço sont exquis! » Pour les livres d’art, L’Écho a choisi de mettre à l’honneur deux éditeurs belges : le Fonds Mercator et Cinq continents, pour des livres sur Füssli, PIcabia (Fonds Mercator) et les bronzes de Riace (Cinq continents).
Moustique publie un « top 5 » de l’année littéraire, élaboré par Sébastien Ministru. Le journaliste a sélectionné un livre belge dans sa rétrospective de l’année : Fils de prolétaire, de Philippe Herbet (Arléa). « Avec une simplicité désarmante, Herbet fait le portrait d’une classe qui – entre culture populaire, complexe social et esprit économe – s’affiche comme le territoire d’une immense tendresse« .
Pour la RTBF, Thierry Belfroid a établi une liste des « 15 BD incontournables de l’année 2022 », dans laquelle il retient Melvile, l’histoire de Ruth Jacob de Roman Renard (Le Lombard). Ni autrice ni auteur belge, toutefois, dans les « coups de coeur littéraires de 2022 » des animateurs de la Première, dédiés à la littérature générale.
La presse française
Les auteurs et autrices belges sont pour le moins discrets dans les classements de fin d’année de la presse française : aucun n’apparait ainsi dans les bilans des Inrockuptibles, Lire. Le magazine littéraire ou encore du Monde. Il en va autrement pour Télérama. En décembre 2022, l’hebdomadaire a multiplié les sélections thématiques, couvrant tous les domaines de la culture. Du côté de la littérature, Les tourmentés de Lucas Belvaux (Alma), figure dans la liste des 20 meilleurs romans de l’année : « Ce premier roman du cinéaste Lucas Belvaux sidère par l’ampleur frénétique de son écriture. » Le classement des « meilleurs BD et romans graphiques jeunesse 2022 » du même hebdomadaire reprend 15 titres. La sélection offre une belle place aux bédéistes belges. On y trouve en effet Léonie et les scarabées d’Elsa Bordier et Élodie Shanta (Nathan) : « Élodie Shanta (Crevette, Ortie et Douce…) offre son trait minimaliste et dynamique à l’histoire toute douce et fantasque imaginée par Elsa Bordier. » L’hebdomadaire retient aussi le tome 1 de Magda, cuisinière intergalactique, co-signé par Nicolas Wouters et Mathilde Van Gheluwe (Sarbacane) : les critiques soulignent que « Cette aventure à la tonalité écologique dépoussière le récit initiatique avec une énergie rare, tout en offrant un divertissement ébouriffant, plein de surprises. Un régal de bout en bout ». Enfin, la rédaction de Télérama a aussi retenu La longue marche des dindes, pour son « style expressif et lumineux », qui « donne une patine originale à ces paysages de l’Ouest américain familiers, pour une histoire pleine d’enthousiasme sans tomber dans l’angélisme, notamment sur la condition des Afro-Américains ou des femmes ».
L’hebdomadaire Le Point a lui aussi publié son palmarès de l’année. 13 journalistes littéraires ont établi une liste des « 30 ouvrages les plus marquants de 2022« . Deux auteurs belges figurent dans cette sélection. La primo-romancière Dominique Celis a été remarquée pour Ainsi pleurent nos hommes, publié à la rentrée littéraire aux éditions Philippe Rey. Elle est accompagnée de François Gemenne, pour son essai L’écologie n’est pas un consensus (Fayard).
La littérature jeunesse à l’honneur
Ludique avant tout, la sélection de fin d’année est un rituel de la presse littéraire. Elle est aussi une démarche partielle et partiale – aucun journaliste n’a tout lu avant de se prononcer. Inutile, donc, de tirer des conclusions péremptoires des choix des uns et des autres. On notera toutefois que comme dans les sélections de l’année 2021, les journalistes belges mettent assez peu en exergue la littérature belge.
La ressemblance entre les années littéraires belges 2021 et 2022 s’arrête pourtant là. En 2021, les classements indiquaient en effet un large plébiscite de la presse pour Premier sang d’Amélie Nothomb et Mahmoud ou la montée des eaux d’Antoine Wauters, ou encore de René.e au bois dormant d’Elene Usdin. Les choix des journalistes sont nettement plus disparates en 2022. Un seul titre se signale par sa récurrence dans les classements : Hekla et Laki de Marine Schneider, qui confirme dans la presse la Pépite d’or reçue au salon de Montreuil. De manière plus générale, c’est d’ailleurs dans le domaine de la littérature pour la jeunesse que les autrices et auteurs belges sont les plus présents dans les classements de cette fin d’année. Ainsi la « sélection 2022 » publiée par La revue des livres pour enfants du Centre national de la littérature pour la jeunesse (une liste de 1000 ouvrages pour la jeunesse parus en français (traductions comprises) entre septembre 2021 et septembre 2022) regorge-t-elle de livres signés par des auteurs et illustrateurs de Wallonie et de Bruxelles.
Du côté de la littérature générale et de la bande dessinée, aucun livre d’auteur belge n’a représenté un « phénomène » médiatique et critique incontournable. L’année littéraire francophone 2022 aura surtout été, pour des raisons différentes, celle d’Annie Ernaux, Virginie Despentes, voire Michel Houellebecq.
Nausicaa Dewez