Archives par étiquette : Chantal Deltenre

L’univers carcéral en Nouvelle-Calédonie

Chantal DELTENRE, Camp Est. Journal d’une ethnologue dans une prison de Kanaky Nouvelle-Calédonie, Postface de Marie Salaün, Anarcharsis, coll. « Les ethnographiques », 228 p., 16 €, ISBN : 9791027904440

deltenre camp estEthnologue, écrivaine, autrice de La maison de l’âme (Editions Maelström, 2010), Chantal Deltenre livre dans Camp Est un journal de terrain qui évoque la mission d’observation ethnograhique en milieu carcéral dont elle a été chargée. Étrangère à la culture kanak, au monde calédonien et extérieure à l’institution pénitentiaire, elle côtoie durant un mois le « Camp Est » situé sur l’île de Nou, une prison de Nouméa dont elle décrit et analyse le fonctionnement, les cercles de violence physique, structurelle, sociale, symbolique, mais aussi les enjeux et l’impensé. Le récit est avant tout celui d’un dépaysement, d’un saut dans un monde doublement inconnu (culture kanak, monde mélanésien et espace carcéral), d’une attention à la dimension coloniale de l’institution pénitentiaire. Toujours placée sous la souveraineté de la République française, la Nouvelle-Calédonie a très tôt été conçue par la France coloniale comme une terre de bagnes sur laquelle expédier les détenus de droit commun ou politiques (quatre mille Communards, dont Louise Michel, furent transférés dans des pénitenciers calédoniens). Ce qui frappe Chantal Deltenre, ce sont les suicides des jeunes détenus, la composition de la population, à majorité kanak (90% de détenus kanak, presque toujours issus de quartiers défavorisés, de squats), la minorité de prisonniers caldoches, d’origine européenne, la crise identitaire, psychique que l’enfermement induit. Continuer la lecture

Un amour fantasmé

Chantal DELTENRE, Où part l’amour, avec des photos de l’autrice, MaelstrÖm, 2020, 278 p., 15 €, ISBN : 9782875053671

deltenre ou part l amour« Photographier, c’est écrire avec la lumière. »

« Un paysage aimé ne vous quitte jamais. Même à des kilomètres et des années de distance, un paysage, c’est d’une fidélité inébranlable. »

Par petites touches fines et sensibles, Chantal Deltenre, écrivain, ethnologue, amateur passionné de photographie – ses clichés évocateurs jalonnent son dernier livre – nous rend proche, presque chère, son héroïne. Continuer la lecture

Où l’on suit passionnément pas à pas les premiers pas d’une autrice dans l’écriture

Chantal DELTENRE, Écrire en marchant. Premiers pas, Maelström, 2018, 134 p., 14 €, ISBN : ISBN : 978-2-87505-305-3

deltenre ecrire en marchant

Deux événements minuscules se produisent à ce moment-là. Une mouche, soudain piégée au cordon de glu qui pend du lustre au-dessus de ma tête, se met à vibrionner. Sa lutte désespérée me vrille les oreilles. En même temps, une mésange vient se poser au bord de l’appui de fenêtre extérieur. (…) Ma gorge se serre. (…) Je n’en peux plus de cette immobilité. Si je ne bouge pas, le tourbillon qui emporte le sourire de ma grand-mère (…), l’ordre et le décor figés de la pièce à vivre, (…), je glisserai avec eux dans la mort, l’extinction.

Des fois, tout se décide sur un coup de tête. Irréfléchi. Comme une réponse, pas du tout attendue, aux aléas ou aux impasses de la vie. À la lecture d’Écrire en marchant, on se dit que Chantal Deltenre aurait très bien pu ne jamais écrire, ne jamais publier. Sauf qu’il y a eu cet instant T, événement fabuleux, véritable matrice de sa vie d’écrivain. Continuer la lecture

Cernes de famille

Chantal DELTENRE, La Forêt Mémoire, maelstrÖm, 2016, 110 p., 12 €

deltenreComment imbrique-t-on dans sa mémoire les souvenirs, doux ou douloureux ? Comment faire pour qu’ils se transfigurent, se floutent et ne nous digèrent pas tout cru ?
Dans La Forêt-Mémoire, la narratrice, encore enfant, a planté à son seul usage une canopée sensible imaginaire. Au plus profond, comme dans autant de boules à neige, elle peut à loisir éteindre ou animer les scènes qu’elle a vécues : Grande, la mamy aimante, en train de raccommoder un chandail. Grand, le pépé communiste, feuilletant Le Drapeau Rouge en quête d’une nouvelle manif où il l’emmènerait. La Ducasse d’Ath et ses Géants au dernier week-end d’août, les bords de la Dendre et la statue de Saint Antoine, qui veille sur la plus jeune occupante de la maisonnée. Il reste malgré tout des paysages qui grésillent bien trop à son goût, sous tension ou au mieux, vidés de tout lien. Des moments qu’elle ne maîtrise guère: tous ceux où apparaissaient ses parents, mariés très jeunes et comme encombrés de leur progéniture. Continuer la lecture