Archives par étiquette : nazisme

Stéphane Mandelbaum : la spoliation de la mémoire

Un coup de cœur du Carnet

Véronique SELS, Même pas mort !, Genèse, 2022, 256 p., 22,50 €, ISBN : 978-2-38201-021-1

sels meme pas mortDans le puzzle de la vie, il y a toujours une case qui manque. Surtout quand on s’appelle Stéphane Mandelbaum, qu’en quelques années, on a bousculé l’univers de la peinture et du dessin. Dans son cinquième roman, Même pas mort !, Véronique Sels reconstruit librement la trajectoire du peintre en l’immergeant dans les convulsions de l’Histoire, le point de non-retour de la Shoah. Pour affronter la vie éminemment romanesque, la fin tragique de Stéphane Mandelbaum assassiné en décembre 1986 à l’âge de vingt-cinq ans, elle met en place un dispositif audacieux que dévoile le titre. Continuer la lecture

Une voix surgie des cendres de la Shoah

Samuel HERZFELD, Jürgen Löwenstein. Destin d’un enfant juif de Berlin, Préface de Marianne Sluszny, Jourdan, 2022, 140 p., 14,90 €, ISBN : 9782874667152

herzfeld jurgen lowensteinÀ l’heure où les derniers témoins directs de la Shoah disparaissent, l’essai de Samuel Herzfeld délivre une voix qui s’est longtemps tue, celle de Jürgen Löwenstein né en 1925 à Berlin, qui revint des camps de la mort, qui réchappa de lieux d’où nul n’était censé revenir et s’installa en Israël. Il ne s’agit jamais d’un témoignage « de plus » d’un survivant d’Auschwitz mais toujours d’un ultime geste de transmission d’une entreprise de mort planifiée par un régime. Remarquablement préfacé par Marianne Sluszny, Jürgen Löwenstein. Destin d’un enfant juif de Berlin est l’histoire d’une rencontre intergénérationnelle entre Samuel Herzfeld et un homme âgé, « un mémorial vivant », rencontré à Tel-Aviv. C’est au silence autour de la Shoah qui marque son histoire familiale que l’auteur s’affronte, c’est ce mutisme qu’il lève en recueillant les propos d’un survivant qui a connu la fin de la République de Weimar, la montée du nazisme, la passivité complice des nations qui ont laissé faire les planificateurs de l’extermination. A l’instar des Stolpersteine, des pavés de la mémoire, toute voix de rescapé qui s’élève rappelle inlassablement au monde les millions de victimes juives, tsiganes… Pour ceux et celles qui se sont tues à jamais, pour les générations présentes et futures, Jürgen Löwenstein parle, au nom des disparus, pour secouer les consciences, l’oubli, les cendres, pour rappeler que l’Homme, et non une idée de l’Homme, est mort à Auschwitz. Continuer la lecture

Le mal comme absence d’empathie

François DE SMET, Hannah Arendt ou le mal comme absence de pensée, Midis de la Poésie, 2021, 42 p., 8 €, ISBN : 978-2-931054-04-8

de smet hannah arendtIl est courant d’entendre que depuis Platon, la philosophie occidentale n’ajoute que des notes de bas de page à ses dialogues socratiques. Du moins jusqu’à la Shoah. Alors, la pensée est devenue plus que vertigineuse : il ne s’agit plus de prendre conscience de la mort à un degré humain et/ou divin, mais d’appréhender la fin de l’humanité à un niveau commun, proche ou lointain. Soit dans son ensemble à tout moment atomique, climatique, soit dans son esprit-même : que reste-t-il d’âme, d’espérance, de poésie, bref d’humain dans le cœur de l’humanité depuis la Shoah ? Continuer la lecture

De la littérature comme miroir

Un coup de cœur du Carnet

Daniel CHARNEUX, Claude DURAY, Léon FOURMANOIT, Pierre Hubermont (1903-1989) : écrivain prolétarien, de l’ascension à la chute, M.E.O., 2021, 232 p., 18 € / ePub : 11.99 €, ISBN : 978-2-8070-0280-7

charneux et alii pierre hubermontLa littérature prolétarienne belge a peut-être été moins scrutée que celle des écrivains régionalistes. La question de la collaboration culturelle durant la Seconde guerre mondiale n’a que rarement fait l’objet d’une vulgarisation ; des études, des mémoires, des ouvrages universitaires lui ont été consacrée : les auteurs du présent volume en mentionnent quelques-uns. L’épuration des écrivains ayant collaboré avec l’occupant n’a pas donné lieu à un débat public retentissant et à des condamnations fracassantes comme ce fut le cas en France. Un certain nombre d’écrivains aujourd’hui connus passèrent entre les mailles d’un filet institutionnel et judiciaire somme toute assez complaisant. Certains s’exilèrent. D’autres furent condamnés à mort ou à des peines de prison. Continuer la lecture

« L’erreur d’une vie. La vie d’une erreur »

Pierre MERTENS, Les éblouissements, Seuil, coll. « Points », 2021, 475 p., 8,50 €, ISBN : 978-2-7578-8509-3

mertens les éblouissementsPour son cinquantième anniversaire, la collection « Points » propose la réédition de titres qui ont ponctué son histoire. Le roman de Pierre Mertens, Les éblouissements, y trouve sa place. Il s’est vu attribuer le prix Médicis en 1987.

Le roman met en scène le poète allemand Gottfried Benn, né en 1886 et mort en 1956. Considéré comme un des écrivains majeurs de la littérature allemande du 20e siècle, défendant à partir des années 1910 une esthétique expressionniste, il s’est cependant fourvoyé brièvement en 1936, affirmant si pas des sympathies du moins une tolérance à l’égard du régime nazi dont il est quelque temps « compagnon de route ». Bien vite il revient sur cette erreur, mais il sera renié autant par les autorités que par ceux de ses pairs en littérature qui, eux, ont choisi l’exil pour lutter contre la dictature nazie. Benn est donc censuré, voué au silence avant d’être reconsidéré après la Seconde Guerre par les jeunes écrivains de ce que l’on a appelé la génération de « l’année zéro » qui redécouvrent la pertinence et la fulgurance de son œuvre, mais le questionnent aussi sur les raisons de son aveuglement passager. Continuer la lecture

Aux champs… élisés !

Un coup de cœur du Carnet

Marcel SEL, Elise, ONLiT, 2019, 434 p., 24,99€ / ePub : 15 €, ISBN : 978-2-87560-108-7

Marcel Sel a-t-il été tétanisé par le succès de son premier roman, Rosa (quatre prix et deux finales) ? Ou une ambition artistique démultipliée a-t-elle élevé la barre à tout rompre (attentes et limites) ? La question se pose dès l’entame du livre. Dont la structuration, l’écriture et le fond secouent irrésistiblement.


Lire aussi : notre recension de Rosa


La première page, en surplomb, dégage une force incantatoire qui rappelle James Ellroy, le génie du roman noir américain : Continuer la lecture

Arnaud de la Croix. Himmler, Otto Rahn et le Graal

Arnaud DE LA CROIX, Himmler et le Graal. La vérité sur l’affaire Otto Rahn, préface d’Emmanuel Pierrat, Racines, 2018, 144 p., 19,95 €, ISBN : 978-2-39025-070-8

Le nouvel essai d’Arnaud de la Croix s’inscrit dans le fil de ses travaux antérieurs, La religion d’Hitler, Les Templiers, chevaliers du Christ ou hérétiques ?, Arthur, Merlin et le Graal, un mythe revisité. Préfacé par Emmanuel Pierrat, Himmler et le Graal. La vérité sur l’affaire Otto Rahn interroge la face occulte du nazisme, à savoir la fascination de certains dirigeants pour l’ésotérisme. Nombre d’historiens ont étudié les racines occultes du national-socialisme, en particulier de l’Ordre noir des SS dont Heinrich Himmler était le chef suprême. Livrant le résultat de recherches menées durant trente ans, Arnaud de la Croix interroge la « folie » du Graal qui s’est emparée de Himmler, la manière dont les travaux du médiéviste et écrivain Otto Rahn ont influencé le Reichsführer de la SS. La généalogie de la mythologie völklich, d’un néopaganisme nourri par la magie noire, la sorcellerie, le spiritisme est finement mise à jour. La mythique île de Thulé, les théories raciales, les divagations sur l’aryanisme, le lien entre Graal et catharisme qu’établira Otto Rahn ont eu pour précurseurs la Société théosophique fondée par Helena Blavatsky (courant ésotérique, société secrète basée sur un syncrétisme mystique reliant l’Occident au bouddhisme, à l’hindouisme) ou encore la personne du mage illuminé Karl Maria Willigut qui deviendra le gourou de l’Ordre noir. Continuer la lecture

Sauver la phénoménologie

Herman VAN BREDA, Sauver les phénomènes, Allia, 2018,  95 p., 6.50 € / ePub : 3.99 €, ISBN 979-10-304-1004-4

sauver les phénomènesL’expression « sauver les phénomènes » peut introduire à l’activité philosophique depuis Nietzsche et en tout cas le début du XXe siècle, mais à condition d’ajouter par la mise à découvert du langage qui y fait obstacle et y participe. Les grands courants de la philosophie contemporaine s’évertuent en effet à analyser ou à épurer le langage, à réduire ou à déconstruire ses présupposés, à l’interpréter ou à le mettre en récit… Continuer la lecture

Philosophie, poésie et action politique

Éric CLÉMENS, De l’égalité à la liberté. En passant par le Revenu de Base Inconditionnel, Saint-Pierre, Le Corridor bleu, 2015, 140 p.

Le demi-siècle 1965-2015 fut marqué par une série de crises ou de mutations profondes, dont notre vision du monde occidentale ne pouvait sortir intacte : révélation accrue des crimes nazis et staliniens, conséquences de la décolonisation, contestation de mai 68 et maoïsme, chocs pétroliers, fin de l’U.R.S.S. et déclin du communisme, croissance des pays émergents, etc. Telles sont les turbulences historiques devant lesquelles Éric Clémens, philosophe de formation, a tenté de repenser les bases de la politique et de l’éthique – rappelons notamment son essai Le même entre démocratie et philosophie (Lebeer-Hossman, 1987) –, mais sans éluder la nécessité de l’action concrète, puisqu’il a notamment organisé ou participé à de nombreux débats publics et qu’il milite pour l’attribution à chaque citoyen d’un « revenu de base inconditionnel ». Le livre qui parait aujourd’hui rassemble des textes publiés tout au long de ces années, jalons d’une recherche exigeante et rigoureuse entre interrogation philosophique et écriture poétique ; son titre l’indique, égalité et liberté sont deux préoccupations – éminemment républicaines – qui dominent, ou plutôt arriment le questionnement auquel s’astreint l’auteur. Continuer la lecture

Hitler, un nouveau sauveur?

Arnaud DE LA CROIX, La religion d’Hitler, Racine, 2015, 211 p., 19,95 €

de la croixAprès Hitler et la franc-maçonnerie (Racine, 2013), Arnaud de la Croix s’attaque à la question –controversée – de la religion d’Hitler, dans son nouvel essai publié aux éditions Racine. Baptisé dans l’Église catholique et enfant de chœur, le chef du mouvement national-socialiste était-il chrétien – comme l’a notamment soutenu le philosophe Michel Onfray, dans son Traité d’athéologie ?  Sa foi s’inscrivait-elle dans une mouvance néo-païenne ou le Führer entendait-il en revenir aux anciennes croyances germaniques ? Était-il athée ? Continuer la lecture