Archives par étiquette : Anne-Lise Remacle

Mots et vie(s) à mettre au jour

Un coup de coeur du Carnet

Aliénor DEBROCQ, À voie basse (nouvelles), Quadrature, 2017, 140 p., 16€/ePub : 9.99 €, ISBN : 9782930538723

debrocqLa maternité s’avère-t-elle être un sujet littéraire porteur ? Si l’on en croit Marie Darrieussecq (Le Bébé), Éliette Abécassis (Un heureux évènement) ou plus récemment Valérie Mréjen (Troisième personne), assurément. Tout comme peuvent l’être le choix assumé d’une vie faite d’écriture plutôt que de transmission matrimoniale (Linda Lê – À l’enfant que je n’aurai pas) ou le constat qu’être femme sans descendance peut encore étonner ou faire jaser (Jane Sautière – Nullipare).

À lire : un extrait de À voie basse

Continuer la lecture

Combler l’absence à petits points

Christiane LEVÊQUE, Ravaudages (Récits), Traverse, 2017, 112p., 13€, ISBN : 978-2-93078-316-1

levequeS’adonner au tri d’un grenier, où le bric et le broc voisinent avec des trésors, peut vous faire commettre l’irréparable : vous débarrasser d’un pan de mémoire qui prend la forme d’objets a priori insignifiants.  Confrontée à ce rangement sentimental, Christiane Levêque confesse avoir mis au rebut, sans y prendre vraiment garde, les dizaines de paires de chaussettes reprisées avec méticulosité et sens de l’économie par les femmes de sa famille. Ne s’étonne pas d’avoir été ensuite prise d’un remords qu’il lui faudra traverser, atténuer par le récit : « Ravaudages. Je réparerai. Au moins par les mots, ceux que j’aurai écrits ». Continuer la lecture

Filles-flammes entre Meuse et lagune

Christiana MOREAU, La sonate oubliée, Préludes, 2017, 256 p., 15.60 €/ePub : 10.99 €, ISBN : 9782253107811

moreauÀ Seraing, cité d’acier aux horizons bas et aux espoirs comprimés, Lionella est une adolescente qui détonne. Loin des amusements de son âge, élevée dans une famille italienne où l’on tient la musique pour nourriture spirituelle, elle n’a d’yeux pour son violoncelle. Entraînée par son professeur, Monsieur Sohet, pour le prochain concours Arpèges – retransmis à la télévision et d’ampleur internationale –  la jeune fille frondeuse bute sur le choix de la pièce qu’elle devra présenter. Comment se démarquer de ces concerti si rabâchés ? Complètement bleu de la violoncelliste, son ami Kevin – doux rêveur dans une famille monoparentale sous haute tension – lui offre un coffret glané en brocante. Lionella y découvre avec ravissement non seulement une partition ancienne, mais aussi une médaille coupée et un carnet, celui d’Ada, une orpheline vénitienne du XVIIIe siècle. Débute alors, à mesure que les pages du journal intime défilent et que les notes de la sonate retrouvée s’apprivoisent en vue de la compétition, un étrange dialogue entre la Serésienne et celle qui fut l’élève de Vivaldi à l’Ospedale della Pietà. De quels mystères est porteuse cette violoncelliste oubliée par les âges ? Quel était cet étrange lieu qui recueillait les fillettes laissées-pour-compte afin d’en faire des musiciennes émérites ? Se peut-il que la trouvaille de Kevin soit une œuvre inconnue du compositeur des Quatre Saisons, celui qu’on surnommait le prêtre roux ? Continuer la lecture

Disparaître, renaître

Alia CARDYN, Une vie à t’attendre, Charleston Éditions, 2016, 272p., 18€/ePub : 12.99 €  ISBN : 978-2-36812-106-1

cardynEn 1995, Rose Campion, enfant solaire de six ans, voit ses repères se fracturer d’un seul coup : ses parents, Gabrielle et Charles – rentiers et lui timoré, elle éteinte, finalement très peu connus de leurs voisins – se sont évaporés sans crier gare. Confiée à un orphelinat, la petite fille refuse de se croire abandonnée et tente de surmonter la tragédie grâce à la vivacité de Lucie et à la confiance en la vie de son grand frère Oscar, meneur inné de leur bande de « survivants ». À l’école, c’est le tendre Henri qui la protège et la console avant qu’elle soit mutée dans un établissement plus proche de son lieu de vie. Ernest Jaco, inspecteur proche de la retraite, s’émeut lui aussi du sort de la gamine et met tout en œuvre pour comprendre le mystère de cette disparition. Pourquoi le couple a-t-il revendu plusieurs propriétés quelques mois avant le drame et versé le montant obtenu à une association brésilienne? Continuer la lecture

Jacques-san au pays des légers changements

Manuel CAPOUET, Le modèle, Diagonale, 2016, 250 p., 17.50€/ePub : 9.99 €   ISBN : 978-2-960132-16-8

capouetJacques, jeune chercheur en climatologie bruxellois, débarque à Tokyo, une ville qui lui évoque « une cité obscure de Schuiten et Peeters qui engloutit ceux qui osent s’y aventurer ». Ses seuls repères sont les convinis, petites échoppes de quartier où il se sustente en bière et repas bon marché. Déboussolé par les conventions sociales – ses collègues japonais semblent tous régis par une hiérarchie immuable – et confronté aux subtilités d’une langue qu’il ne maîtrise que partiellement, il est tenu par le professeur Nishimura de trouver rapidement un sujet de thèse. Continuer la lecture

Petits arrangements avec la trahison

Armel JOB, Dans la gueule de la bête, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2016 (1ère éd. Robert Laffont, 2014), 336 p., 9€   ISBN : 9782875681317

job-enCes citoyens-là ne sont pas « né[s] à Leidenstadt sur les ruines d’un champ de bataille », mais vivent à Liège, sous occupation nazie. Lorsqu’il leur sera enjoint, en cette période trouble, d’agir en braves ou en veules, leur hésitation tracera sans ménagement une frontière floue.
Il y a d’abord  sœur Michelle qui, pressée par le clergé, doit accueillir dans son pensionnat Hanna / Annette, une fillette juive, et qui n’accepte qu’à moitié, avant de se rendre compte que cette enfant angélique peut atténuer son creux affectif. Il y a ensuite les Desnoyer – un notaire et son épouse dactylographe – qui cachent Fannia / Nicole, la mère de la petite : Monsieur se découvre troublé par le charme de la jeune femme, Madame a des accès de rejet avant de se raviser et de se rassurer quant à sa charité chrétienne. Un des clercs de leur étude, Oscar Lambeau, ancien séminariste à l’homosexualité refoulée, appartient également au réseau catholique de protection des Juifs. Continuer la lecture

Le visage et l’auteure

Mathilde ALET, Petite fantôme, Éditions Luce Wilquin, 2016, 176 p., 18€/epub : 10.99 €, ISBN : 978-2882535269

aletComme chaque mercredi, Gil attend Jo aux Trois Compères, un café sans grand charme. Cette fois, sa comparse de banquette ne se contentera pas d’un léger retard : elle ne viendra pas à leur rendez-vous. Qu’est-ce qui a provoqué rupture dans leur rituel parfaitement établi ? Comment s’accommoder d’une telle absence ? Dans sa vie plutôt solitaire qu’elle voudrait réglée comme du papier à musique, Gil compense chaque faille, chaque estafilade en façonnant des archétypes imaginaires avec qui mieux dialoguer : il y avait Arnaud-chéri, le fiancé plus parfait que celui qui se contente de visites horizontales à l’improviste. Il y aura donc Joséphine, aussi belle que la vraie, mais bien plus proche d’elle, comme dans ses souvenirs de la rue des Goélands. Une grande sœur avec qui s’accorder une relation non régie par contrat, avec qui tous les sujets pourront être abordés.

Continuer la lecture

Cernes de famille

Chantal DELTENRE, La Forêt Mémoire, maelstrÖm, 2016, 110 p., 12 €

deltenreComment imbrique-t-on dans sa mémoire les souvenirs, doux ou douloureux ? Comment faire pour qu’ils se transfigurent, se floutent et ne nous digèrent pas tout cru ?
Dans La Forêt-Mémoire, la narratrice, encore enfant, a planté à son seul usage une canopée sensible imaginaire. Au plus profond, comme dans autant de boules à neige, elle peut à loisir éteindre ou animer les scènes qu’elle a vécues : Grande, la mamy aimante, en train de raccommoder un chandail. Grand, le pépé communiste, feuilletant Le Drapeau Rouge en quête d’une nouvelle manif où il l’emmènerait. La Ducasse d’Ath et ses Géants au dernier week-end d’août, les bords de la Dendre et la statue de Saint Antoine, qui veille sur la plus jeune occupante de la maisonnée. Il reste malgré tout des paysages qui grésillent bien trop à son goût, sous tension ou au mieux, vidés de tout lien. Des moments qu’elle ne maîtrise guère: tous ceux où apparaissaient ses parents, mariés très jeunes et comme encombrés de leur progéniture. Continuer la lecture

Secrets de soupente

Patrick DELPERDANGE, Le cliquetis, Genèse Éditions, 2016, 194p., 20.5 €/ePub : 14.99 €

delperdangeImaginez une demeure de plus d’un siècle, un peu décrépie, mais au pouls vaillant. Prête à vous confier les mystères qui l’ont traversée au fil des ans ou à vous révéler les petits secrets de chacun de ses occupants actuels. Cette maison, c’est elle qui endosse le récit, nous présentant Maïa, la concierge grecque toujours fidèle au poste et Monsieur Godefroid, le chercheur acariâtre qui s’escrime sur ses vieux livres depuis au moins 20 ans. Charles et Marthe Laurent, un couple âgé, discret, et toujours amoureux qui rêve de retourner aux Contamines, où leur histoire s’est scellée. Les Messier qui ont du mal à se parler car monsieur est toujours le nez plongé dans ses recherches chimiques. Leurs deux enfants, Clara, qui adore dessiner, et Jonathan qui pense que sa sœur est un peu folle. Madame de Pasquale en déshabillé de soie et crinière blonde, et son majordome qui veille au grain. Tous sont habités par des secrets, des regrets qui finiront par exsuder à la suite d’un incident anodin : un cliquetis permanent, agaçant et inexplicable venant de la soupente dissimulée du quatrième étage, que des ouvriers viendront mettre au jour. De quelle existence tragique cette petite pièce fut-elle le témoin ? Quand on fissure son mur, ne fracture-t-on pas aussi la moelle épinière d’une maison ? Continuer la lecture

Dans le prisme de Rio

Evelyne HEUFFEL, Palmes dans l’azur. Roman bossa-nova, Ker éditions, 2016, 180 p., 12 €

heuffelIl est des auteurs de chez nous dont la terre d’élection – réelle et littéraire – se situe bien loin des banquets à la Bruegel, des canaux de Bruges ou des pavés bruxellois. Illustratrice, traductrice et écrivaine, Evelyne Heuffel s’est laissée charmer par le Brésil à 18 ans et y a posé ses malles dès 1981, d’abord sur la côte de Recife puis plus au sud, à Rio de Janeiro. Il y a fort à parier que le regard que pose sa candide héroïne – débarquée à Rio en 1967 autant par amour pour Otávio que par curiosité pour ce pays singulier – sur une Rio tantôt mouvante, tantôt émouvante, tantôt décevante doit peu ou prou à la propre expérience de la romancière à la lisière de l’adolescence. Continuer la lecture