Marie-Clotilde ROOSE, En minuscules, Taillis Pré, 2023, 72 p., 14 €, ISBN : 978-2-87450-205-7
On ne dira jamais assez combien la poésie de langue française trouve un accueil idéal sous les couvertures multiples de l’édition belge, dont Le Taillis Pré est une des enseignes les plus stimulantes. Son catalogue dont un extrait figure en fin de chaque volume constitue en soi une anthologie éclatante, dans laquelle Marie-Clotilde Roose fut accueillie déjà en 2005 par Yves Namur, l’initiateur et animateur de cette maison d’édition. Continuer la lecture →
Leo GILLESSEN, Un moment à peine. Kaum ist alle Zeit, Tétras Lyre, coll. « Lyre sans borne », 2023, 108 p., 14 €, ISBN : 978-2-930685-68-7
L’esprit et la structure des koan hantent les poèmes courts, die kurzegedichte qui composent le nouveau recueil de Leo Gillessen. Poète né à Manderfeld, lauréat du prix de littérature germanophone en 1993, collaborateur de la revue Krautgarten jusqu’en 2015, Leo Gillessen taille des formes brèves bilingues, en français et en allemand, sans que le principe de la traduction ne règne en maître. Dans la note d’introduction, figure la mention qu’il s’agit de deux recueils, portés par deux langues, unis en un seul livre. Si, parfois, le face-à-face entre les textes adopte l’allure d’une traduction, à d’autres moments, les textes divergent, explorent les questions du temps, du silence, de la réalité et de l’illusion avec leurs moyens propres, leur idiome. Le schème de la traduction se voit déporté une deuxième fois dès lors que la forme et la ligne spirituelle des poèmes en prose s’inspirent des koan, ces brefs supports textuels qui, dans le bouddhisme zen, servent d’objets de méditation. Insérés dans l’univers du bouddhisme japonais, la langue française et la langue allemande vivent à l’heure éternelle d’une sagesse orientale qui, dans sa translation en allemand ou en français, conserve le cœur battant des koan : exprimer en quelques mots des paradoxes, des apories qu’échangent un maître bouddhiste et son disciple. Continuer la lecture →
Henri VERNES et Richard COLOMBO, avec des illustrations d’André TAYMANS, La déesse d’Adlerburg, Editions du Tiroir, 2023, 218 p., 18 €, ISBN : 978-2-93102-768-4
En novembre 1942, à Bruxelles, l’Oberssturmführer Otto Bretzzel, de la SS, piaffe d’impatience à l’idée d’aller en découdre en Russie, de s’ouvrir la route du Caucase et des puits de pétrole. Mais le voilà convoqué dans la demeure d’un riche banquier juif, confronté à sa collection d’œuvres d’art et à l’irruption d’Herman Göring himself, qui lui confie une mission vitale pour la victoire du IIIe Reich : acheminer en Allemagne la perle du lot, une extraordinaire statue d’or de la déesse de la nécessité Ananké, flanquée de ses filles, les Moires, en charge du fil de la vie. Et d’une suite de signes cabalistiques, des allures de carte au trésor… Mais, lors du trajet, le convoi mené par Bretzzel, pris en chasse par l’aviation alliée, s’évanouit en amont de Liège, en Belgique. Continuer la lecture →
Isabelle BIELECKI, Fiel au cœur, Bleu d’encre, 2023, 60 p., 12 €, ISBN : 978-2-930725-55-0
Orné de photographies en noir et blanc de Pierre Moreau, agrémenté d’une préface de Martine Rouhart, le recueil Fiel au cœur (dédié d’ailleurs à la préfacière et au photographe) s’ouvre sur la fulgurante formulation de Jean-Paul Sartre, « L’enfer c’est les autres », en guise d’épigraphe. On sait trop bien l’importance des signaux que lance un livre avant même que sa lecture n’en ait été entreprise. Ainsi le Noir et Blanc chez un photographe dont on connaît la merveilleuse dilection pour la couleur, la force de frappe de ce « les autres » et du titre de la pièce de Sartre, Huis clos, annoncent d’emblée qu’il s’agira ici d’affronter les éléments d’une météorologie inclémente, le contraste violent, l’affrontement de Titans dont la puissance ronfle au loin. Comme le titre l’indique, il s’agira ici d’un conflit intime, intérieur dont l’intensité se déploie d’autant plus qu’elle est contenue, retenue. Continuer la lecture →
Alex LORETTE, Un fleuve au galop, Genèse Édition, 2023, 247 p., 22,5 € / ePub : 13,99 €, ISBN : 9782382010259
Tout au long du roman, nous suivons les récits de plusieurs personnages. Il y a d’abord Lucie, qui est née au Congo et n’a jamais été heureuse en Belgique. Ensuite, il y a sa fille Félicité avec qui elle n’a jamais réussi à communiquer. On suit également les histoires du père André, autrefois appelé Nkisu, de Massiga, la nourrice de Lucie et enfin d’Edmond, l’arrière-grand-père de Lucie, un colonisateur sanguinaire.
Lucie aimerait retourner au Congo, cette terre qui l’a vue naître, au bord du fleuve, dans les années 1940. Malgré sa couleur blanche, elle s’est toujours sentie noire à l’intérieur, une Congolaise. À présent, il est trop tard. Elle est clouée au lit dans sa maison de retraite. Elle pourrait demander à sa fille qui habite en Norvège de l’y accompagner, mais elle n’a plus de contact avec elle. Seuls lui restent les souvenirs dans lesquels elle plonge à corps perdu, au risque de s’y perdre. Lucie se souvient de Massiga, cette Congolaise qui l’a éduquée comme sa propre fille. De Koko, son grand-père, qui considérait les Congolais comme des sauvages. De son père, presque toujours absent. De ce 28 mai 1958 où, âgée de 17 ans, on l’envoya en Belgique pour étudier dans un pensionnat de sœurs. Lucie repense aussi à Nkisu, son ami d’enfance qui allait chez les pères blancs. Elle se souvient de leurs parties de foot, de leurs baignades dans le fleuve, mais aussi de ce jour d’été de 1957, où ils se sont aimés et où sa vie a basculé. Elle évoque sa grossesse cachée. La naissance de Félicité et le départ vers la Belgique, en 1958, sans son enfant, seule et sans d’autres bagages qu’une volonté tenace de revenir au plus vite au Congo. Continuer la lecture →
Alain VAN CRUGTEN, La dictature des ignares, M.E.O., 2023, 270 p., 21 € / ePub : 12,99 €, ISBN : 9782807003712
Sous un titre tranchant, La dictature des ignares, Alain van Crugten a composé un livre historique, politique et romanesque, qui nous mène au printemps 1968 à Varsovie.
Dès le début, on rencontre des personnages attachants. Jean Artigues, étudiant à l’université d’Aix-en-Provence, nanti d’une bourse de recherche du gouvernement polonais. Jean, incertain, hésitant, toujours partagé entre doutes et réflexions. Son inséparable ami Julien, chaleureux et expansif. La belle et ardente Hania… Continuer la lecture →
Luc DELLISSE, Le monde visible. Les aventures du réel, Impressions nouvelles, 2023, 254 p., 20 €, ISBN : 978-2-39070-020-3
Luc Dellisse s’est fait dentellier. Ses dernières publications sont toutes des textes courts, des napperons de lettres tissées avec soin. Sa plume au fuseau et au crochet, est maniée avec une délicatesse sur laquelle repose chaque phrase comme un soyeux coussin. Pourtant, il est un écrivain non de l’alcôve mais de terrain. Le matériau de son tissu est de l’herbe foulée au corps, les traits d’une pluie fine dont il fait les nuages, un rayon de soleil errant amusément sur sa paume de voyageur, une brume légère quoique tangible modelant un filigrane dont il fait sa griffe d’auteur.
Ces choix arbitraires ont une logique : il s’agit de faire tout de suite quelque chose d’inutile, d’agréable et d’urgent et d’éprouver la minceur de la frontière entre imaginer et passer à l’acte.Continuer la lecture →
Les Éditons Le Coudrier ont confié à Philippe Leuckx, avec raison et bonheur, « l’avant-dire » du dernier recueil du poète hennuyer Pascal Feyaerts. Entre poètes, surgissent des émotions inattendues lorsqu’ils formulent cette empathie singulière qu’engendre le poème de l’un sous la plume de l’autre. Leuckx met en évidence avec justesse cet « univers de doutes, de clartés et d’ombres » qu’il décèle dans les pages du Locataire.
Quant aux illustrations de Derry Turla qui ornent le recueil, elles ouvrent les textes comme autant de vertiges nouveaux, de prolongements de l’énigme irrésolue que propose le poète. Alternant dans les formats rectangulaires des visages estompés et des fragments d’édifices (maison, portiques), l’artiste semble fasciné par les regards qu’il a perçus dans les textes dont il devient le miroir. Continuer la lecture →
Corinne HOEX, L’ombre de toi-même, Tétras Lyre, 2023, 68 p., 15 €, ISBN : 978-2-930685-69-4
Publié aux éditions Tétras Lyre, le dernier ouvrage de Corinne Hoex semble le miroir d’un autre, paru une dizaine d’années auparavant dans la même maison, L’autre côté de l’ombre(2012): format identique, coexistence du texte et de l’image, questionnement du visible et fractionnement d’un long poème en petites parts subtiles – comme pour étirer les secondes et y puiser plus encore de matière à explorer. L’ombre de toi-même est un livre délicat, patiemment tissé entre les instants nébuleux qui marquent l’entrée dans la nuit. Continuer la lecture →
Luc BABA, Plus de lumière !, Murmure des soirs, 2023,165 p., 20 € / ePub : 12,99 €, ISBN : 978-2-930657-98-1
Luc Baba s’est glissé dans le sillage de treize auteurs et deux autrices (que l’on n’aurait pas qualifiée de la sorte de leur vivant), Mary Shelley et Emily Brontë, pour remonter à la source de leur écriture. L’écrivain belge apporte ainsi Plus de lumière ! sur leurs œuvres, mais peut-être aussi sur la sienne.
Ce livre rassemble treize textes de factures très diverses, allant du récit de voyage au dialogue quasi théâtral, en passant par la description poétique d’un moment volé au temps littéraire qui passe comme le temps en général. Ces miscellanées ont surtout le mérite de nous donner envie de découvrir ou redécouvrir ces œuvres. On se plaît aussi à penser que Luc Baba règle par ces hommages des dettes aux écrivains qui ont abreuvé sa soif de lecture et nourri sa passion pour l’écriture. Il montre aussi sa grande érudition littéraire et, inspiré par ses modèles, instille ici et là quelques réflexions philosophiques bien senties sur la vie. Continuer la lecture →
Pascale SEYS et Carine BRATZLAVSKY, Virginia Woolf, écrire dans la guerre, Midis de la poésie, 2023, 52 p., 10 €, ISBN : 9782931054086
De Virginia Woolf nous ne connaissons que peu de portraits. À vrai dire, toujours le même, présenté sous différentes nuances de gris. Fantomatique, transparente, Woolf nous apparaît sous un angle unique. Dans cet essai concis et parfaitement maîtrisé, Pascale Seys et Carine Bratzlavsky ajoutent une dimension à l’image fatiguée de l’autrice anglaise : on l’y découvre mouvante, mordante, habitée d’un feu que ni les conventions ni l’épouvantable marche du monde ne parviennent à étouffer.
Il est rare, au cours de l’Histoire, qu’un homme soit tombé sous les balles d’un fusil tenu par une femme ; la vaste majorité des oiseaux, des animaux tués, l’ont été par vous et non par nous.Continuer la lecture →
Caroline LAMARCHE, Émelyne DUVAL, Le livre du destin, La pierre d’alun, coll. « La petite pierre », 2023, 64 p., 15 €, ISBN: 978-2-87429-129-6
Nouvelle curiosité de la collection « La petite pierre » aux éditions bruxelloises La pierre d’alun, Le livre du destin ou la divination par les cartes du Marquis de La Pierre d’Alun se veut aussi bien ludique et léger qu’ésotérique. L’ouvrage, en effet, ne camoufle pas ses intentions. Il a pour vocation de prédire l’avenir en s’appropriant le plus librement possible les règles de la divination.
En ouverture, la préface du Livre du destin décrit les protagonistes d’un curieux jeu de rôle. Un jour, un Marquis n’en étant pas vraiment un, ancien coiffeur puis détenteur d’une galerie d’art, « [à] l’heure du parfait rayonnement de son double destin, [éprouve] le besoin d’en prédire la trajectoire future ». Le voilà donc qui commande à une collagiste un jeu de cartes divinatoires. Parce qu’il est nécessaire d’user sans détours du langage pour traduire les visions de l’avenir, une poète est à son tour enrôlée. Continuer la lecture →
Lorenzo CECCHI, Dans l’enclos, M.E.O., 2023, 144 p., 16 € / ePub : 9,99 €, ISBN: 978-2-8070-0368-2
À fréquenter nos semblables, nous avons tous vécu des situations où la personne en face de nous paraît soudain imperméable à nos propos, retenue dans un monde auquel nous n‘avons pas accès et sur lequel elle n’a souvent elle-même plus prise. L’attention progressive que notre société porte à la santé mentale nous permet d’approcher ce mystère et la littérature contribue à ce lent mouvement. L’on songe bien sûr aux livres fabuleux écrits de cet ailleurs, à l’usage de l’écriture dans la thérapie, aux auteurs qui ont tenté de décrire cet univers dans le roman et surtout dans les polars qui fleurissent chaque jour. Continuer la lecture →
Brigitte MOREAU, Romuald et Julienne, F Deville, 2022, 58 p., 9 €, ISBN : 9782875990617
Romuald et Julienne sont deux amoureux qui se fréquentent depuis quelque temps et qui ont envie d’afficher au grand jour leur amour. Leurs rendez-vous ont été jusqu’à présent clandestins car leurs familles se vouent une haine féroce, mais ils ignorent pour quelles raisons.
Bien décidés à faire évoluer les mentalités pour pouvoir se marier, ils décident de chercher chacun de leur côté l’origine de la discorde qui a provoqué cette haine afin de trouver une stratégie de réconciliation. Continuer la lecture →
Sara GRÉSELLE, Silva, Esperluète, coll. « Cahiers », 2023, 20 p., 11,90 €, ISBN : 9782359841688
En latin, Silvadésigne le bois, le bosquet et, au figuré, une grande quantité, une matière abondante. Dans la langue de Sara Gréselle, le concret et l’imagé fusionnent, et Silva évoque ainsi à la fois la femme-arbre et la femme-forêt. En termes éditoriaux, Silva se concentre en une plaquette, mince et allongée : 20 pages, seulement, à la sève épaisse et collante qui circule irrésistiblement, irrigue profondément. Silva, pluriellement singulière et singulièrement plurielle.
Dans ce texte puissant, Gréselle s’arrête sur une expérience intime, qu’une femme sur quatre connaîtrait, ce qui d’ailleurs « […] ne chang[e] rien à la solitude de l’expérience ». Un jour de Vénus pas très lointain donc, « une de [s]es branche a été arrachées. Non, ce n’est pas ça : une de [s]es branche est tombée. Ça n’a pas fait le bruit qu[’elle] avai[t] imaginé ». Les mots posés soulignent la délicatesse du moment et trahissent un mouvement qui ne souffre aucun retour en arrière : une fois que la branche, qui partage le flux vivant, les terminaisons nerveuses et la pulsation intérieure, se détache, elle retourne à la terre, qui accueille en silence. Il faut ensuite cautériser l’écorce blessée, accepter le temps de la cicatrisation et « faire confiance aux racines, au réveil du printemps, le temps que revienne, un jour, le chant des oiseaux ». Car le cycle, immuable, suivra son cours. Continuer la lecture →
Sophie VAN DER STEGEN, L’envol de Tosca, Ker, 2023,152 p., 18 € / ePub : 9,99 €, ISBN : 978-2-87586-356-0
Prix du Roman Noir de la Foire du livre de Bruxelles 2023, L’envol de Tosca fait écho à la passion de l’autrice, la Bruxelloise Sophie van der Stegen, pour l’opéra. Un monde où les femmes sont invisibilisées…
Dramaturge, Sophie van der Stegen a travaillé quelques années comme directrice de la Communication et dramaturgie à la Chapelle Musicale Reine Elisabeth (fonction dont le roman se fait l’écho à travers l’une des héroïnes) avant de fonder la compagnie de théâtre musicale Artichoke dans le but d’ouvrir la musique classique à tous les publics, celui des plus jeunes en particulier. Gageons que son premier roman donnera l’envie à un public non initié de découvrir le monde de l’opéra qui sert de trame à ce livre. En effet, l’œuvre de Giacomo Puccini est l’un des fils rouges du récit à travers trois de ses œuvres phares, mais également quelques éléments biographiques évoqués, en italiques, dans des interludes. Rappelons que le compositeur italien est décédé à Bruxelles le 29 novembre 1924 et c’est précisément dans la capitale belge que se déroule l’essentiel du roman. La ville sert de décor et, en particulier, un certain Théâtre Belvédère, dans lequel on a cru reconnaître un mélange entre l’opéra de La Monnaie et le Théâtre du Parc, bien que l’autrice présente à son propos une page Wikipedia, fictive semble-t-il. L’histoire, elle, tient sur une période plutôt limitée de quatre mois et se déroule en quatre Actes, fin de l’année 2019. Une histoire d’aujourd’hui centrée autour de trois personnages féminins qui vont interagir à partir de leur passion partagée pour l’opéra. Continuer la lecture →